ΣΥΖΗΤΗΣΗ ΓΙΑ ΤΟ ΕΥΡΩΠΑΪΚΟ ΣΥΝΤΑΓΜΑ
ΘΕΣΕΙΣ ΤΟΥ ΑΤΤΑΚ
Contribution
à la Convention sur le futur de l’Europe
La
contribution d’ATTAC (Association pour la taxation des transactions financières et l’aide aux citoyens) se fonde sur l’expérience des
dernières années qui montre que la politique européenne fonctionne de plus en
plus comme un relais de la mondialisation libérale. Elle se fonde aussi sur l’expérience et l’expertise de ses membres, qui
travaillent et militent pour les droits de nombreux groupes de femmes et d’hommes à travers l’Europe et le monde qui vivent
souvent dans des conditions difficiles, des conditions de discrimination ou d’exclusion. Cette contribution représente les aspirations de millions
de personnes dans le monde pour que l’Europe devienne
enfin un espace et un modèle de liberté, d’égalité dans
la dignité et la justice.
Web
source: http://france.attac.org/site/page.php?idpage=1393&langue=
Contribution à la
Convention sur le futur de l’Europe
Une autre Europe pour
une autre mondialisation
Résumé
La contribution
d’ATTAC (Association
pour la taxation des transactions financières et l’aide
aux citoyens) se fonde sur l’expérience des dernières
années qui montre que la politique européenne fonctionne de plus en plus comme
un relais de la mondialisation libérale. Elle se fonde aussi sur l’expérience et l’expertise de ses membres, qui
travaillent et militent pour les droits de nombreux groupes de femmes et d’hommes à travers l’Europe et le monde qui vivent
souvent dans des conditions difficiles, des conditions de discrimination ou d’exclusion. Cette contribution représente les aspirations de millions
de personnes dans le monde pour que l’Europe devienne
enfin un espace et un modèle de liberté, d’égalité dans
la dignité et la justice.
Pour atteindre
ces objectifs, la Convention devra proposer un nouveau Traité pour corriger
les erreurs et contradictions contenues dans les Traités de Maastricht et d’Amsterdam, en particulier :
- la rigidité
résultant du Pacte de stabilité et de croissance, qui empêche de mettre en
place une politique de relance et une politique économique plus favorable à
l'emploi ;
- l'article 86
du traité qui a été utilisé pour libéraliser tous les services publics en
réseau ;
- l’article 133 du traité d’Amsterdam qui vise à privatiser les services publics et à préparer le
terrain pour l’Accord général sur le commerce des
services pour accélérer leur remise en cause ;
- la Charte
dite des droits sociaux fondamentaux, mais qui ne définit aucun droit réel.
Le nouveau
Traité devra assurer :
- le respect de
la dignité de tout être humain, en améliorant la Charte des Droits
fondamentaux (droit au logement, droit au travail, droit à un revenu
minimum), en adhérant à la Déclaration des Droits de l’homme ratifiée par de nombreux
pays membres et par le Conseil de l’Europe ;
- le bien-être
de chaque individu, avec les priorités suivantes :
- égalité des
genres (hommes et femmes),
- lutte contre
la pauvreté et l’exclusion
sociale,
- lutte contre
toutes les formes de discrimination,
- droits des
enfants, des familles et des personnes âgées,
- assurer un
accès pour tous à l’éducation
et la formation tout au long de l’existence,
- coordonner
les politiques pour assurer un développement durable respectueux de l’environnement et des espèces
végétales et animales,
- protéger la
santé de chacun et la santé publique.
- la
participation de chaque personne aux décisions qui déterminent son futur :
- démocratie
paritaire avec une représentation égale des genres en politique,
-
reconnaissance et défense de la représentation des minorités,
- citoyenneté
de résidence,
-
reconnaissance de la multiculturalité,
- mise en place
de mécanismes permettant l’expression de la démocratie participative,
- droit à l’information et garantie de
transparence des mécanismes de décision.
- les
possibilités de recours en cas de litige pour garantir la justice pour tous.
Le Traité devra
aussi reconnaître que ces objectifs ne peuvent pas être atteints uniquement
par la voie marchande et que certaines matières nécessitent une approche
collective : santé, éducation, culture, environnement, patrimoine commun de l’humanité et accès aux biens et
services minimaux d'intérêt collectif.
L’ensemble de ces objectifs devrait
aussi être intégré dans la politique de sécurité intérieure, à tous les pays
candidats, et à la politique étrangère de l’Union
européenne, notamment en ce qui concerne l’aide au
développement.
1.- L’UE, entité
économique et politique sans légitimité démocratique
Une insatisfaction
croissante et partagée des opinions publiques
Dans l’Europe que nous voulons, l’action du pouvoir contribuera-t-elle à corriger les inégalités
économiques et sociales, à redistribuer équitablement une partie des richesses
produites ? Contribuera-t-elle à développer l’égalité
des chances, la protection sociale ? A développer les solidarités intra et
intergénérationnelles, l’égalité entre les genres ? A privilégier
la lutte contre la criminalité financière et non à prendre des mesures
répressives contre les plus défavorisés ? A préserver la nature en favorisant
un développement durable ?
Aujourd’hui la mondialisation, cela ne
marche pas, cela ne marche pas pour les pauvres du monde, dans l’Union et en dehors de l’Union. Le problème n’est pas la mondialisation, mais la façon dont elle a été gérée et
dont elle pourrait encore être gérée dans l’avenir. En
particulier par les institutions européennes, économiques et autres, et par
les institutions internationales qui contribuent à fixer les règles du jeu ;
en effet celles-ci ont trop souvent géré en fonction des intérêts privés au
sein des pays développés et parfois aussi au sein de certains pays sous
développés ou émergents. Le ressentiment qui en résulte se retourne contre
ces institutions et les pays ou les groupes d’intérêts
qui les ont instrumentalisées à leur profit.
Bien sûr, les
missions de l'Union ne sauraient être examinées de manière isolée. Si l'on
veut que l'Union puisse agir efficacement et répondre aux attentes de ses
citoyens, il convient d'établir un lien entre missions, compétences et
instruments, en précisant pour chaque mission et pour chaque objectif la
répartition de compétences la plus appropriée et le choix des instruments les
plus performants. Encore faut-il définir les objectifs de la performance d’une manière explicite et ne pas
les détourner de leurs objectifs initiaux.
Dans un premier
temps, il convient de définir les valeurs communes de l’Union et ses objectifs. En suite,
à partir des différentes missions qui sont confiées à l'Union, de définir les
objectifs concrets, préciser l'attribution des compétences, ainsi que les
instruments les plus adéquats pour remplir ces missions.
De la dérive
économique à la confusion institutionnelle
Après la
seconde guerre mondiale, au plus fort du rayonnement de l’image des Etats-Unis dans le
monde et de la fascination pour l’American way of life, Jean Monnet et les “ pères fondateurs ” de la Communauté européenne
projetaient la construction à terme des “ Etats-Unis d’Europe ”, dans une perspective fédérale[1]. Ils vont, de fait, adopter des
structures dotées d’un
pouvoir propre, mais circonscrit, institutionnalisant des solidarités
économiques liées aux besoins de la reconstruction d’un
continent dévasté : la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier, 1951) [2] et, plus tard, l’EURATOM (Communauté européenne de l’énergie
atomique, 1957).
Le contexte de
la guerre froide et le rejet en 1954, par l’Assemblée nationale française, du traité signé en 1952 et
instituant une Communauté européenne de défense (CED) mettent fin aux
ambitions politiques initiales. Le 25 mars 1957, les traités de Rome créent
la Communauté économique européenne (CEE) et l’EURATOM.
Privilégiant une approche purement économique, le traité CEE prévoit à terme
l’instauration d’un marché commun.
Il pose en même temps les bases de ce qu’on va appeler
le “ triangle institutionnel ” : la
Commission européenne, dont les
membres sont nommés par les gouvernements des Etats membres, et qui reçoit la
mission de “ proposer ” des actes
législatifs communautaires ; le Conseil
des ministres, qui décide ; l’Assemblée de Strasbourg, dont les membres
sont, à l’origine, désignés par les Parlements
nationaux, et qui dispose d’une compétence consultative
qui va s’élargir au cours de l’histoire.
A ce triangle, il faut ajouter la Cour
de justice des Communautés européennes, chargée de juger le contentieux
né des décisions de ces différentes instances en interprétant les traités et
le droit communautaires.
L’Acte unique européen de 1986
officialise et adjoint à cette architecture le Conseil européen, créé en 1974, qui réunit les chefs d’Etat ou de gouvernement, assistés de leurs ministres des affaires
étrangères, ainsi que le président de la Commission. Ce Conseil européen
définit les orientations générales ainsi que la politique étrangère et de
sécurité de l’Union, débat de la situation de l’emploi et adopte des recommandations de politique économique.
Dans l’ensemble, le postulat des pères
fondateurs, selon lequel le développement des solidarités économiques ferait
naître une Europe politique fédérale a été en partie invalidé. D’un côté, l’intergouvernemental a durablement
prédominé. De l’autre, le marché et une monnaie unique
se sont imposés comme formes d’unification fédérale non
démocratique, progressant dans le secret de décisions gouvernementales, et au
détriment d’une véritable citoyenneté européenne.
La séparation
entre pouvoir législatif et pouvoir exécutif, propre à toutes les grandes
démocraties, est d’autant
plus confuse au sein du triangle institutionnel initial qu’elle se superpose d’abord à une distinction entre
des instances supranationales (la Commission, le Parlement, la Cour de
justice) et une instance intergouvernementale (le Conseil des ministres) et
que, ensuite, les pouvoirs de ces différents organes vont évoluer au fil du
temps.
Le Conseil des ministres se réunit à
huis clos – la
possibilité de débats publics et la publicité de ses votes et de ses
délibérations étant prévues dans certains cas – avec des
hauts fonctionnaires et, selon son ordre du jour, avec les ministres
concernés. La Commission est “ invitée ” à participer aux sessions, de même que la Banque centrale, à moins
que le Conseil n’en décide autrement. Les décisions sont
prises par les ministres à l’unanimité ou à la majorité
qualifiée. Le vote à la majorité qualifiée attribue à chaque Etat un nombre
de voix déterminé par les traités, ceux-ci fixant également les procédures de
vote selon les questions. En 1986, l’Acte unique a
appliqué ce vote à la majorité qualifiée à toutes les questions relatives à
la mise en place du grand marché ? Avec des exceptions importantes toutefois
: pour toutes les questions concernant la fiscalité, la libre circulation des
personnes et certains droits des travailleurs salariés, le vote à l’unanimité est exigé. A côté de ces compétences législatives, le
Conseil détient aussi des compétences exécutives. Il peut élaborer des
règlements d’application, il propose un budget
(désormais adopté en co-décision avec le Parlement) et décide éventuellement
de négociations extérieures pour lesquelles il mandate la Commission.
La Commission a des pouvoirs importants,
même s’ils restent
tributaires en dernière analyse de l’aval du Conseil
(sauf en matière de concurrence où elle dispose de pouvoirs propres). Alors
que les ministres siégeant au Conseil changent souvent et ne se réunissent qu’occasionnellement, les membres de la Commission, désignés pour 5 ans
par les gouvernements, siègent en permanence. La Commission est dotée :
- d’un pouvoir d’initiative : elle est chargée de formuler les propositions de textes
législatifs et réglementaires européens, sauf dans des cas limitativement
énumérés. Elle peut suggérer une révision des traités, des négociations avec
des Etats tiers, etc. Le Conseil ne peut décider que s’il
est saisi d’une proposition de la Commission, sauf,
notamment, en matière d’Union économique et monétaire,
où la Banque centrale dispose d’un pouvoir d’initiative ;
- d’un pouvoir d’exécution et de gestion des politiques communes, notamment en
élaborant des règlements et des directives ;
- d’un pouvoir de contrôle : elle est
la “ gardienne des traités ” et
surveille l’application du droit communautaire. Elle
peut déférer à la Cour de justice des Etats qu’elle juge
en infraction par rapport à ce droit communautaire.
Entre 1985 et 1995,
Jacques Delors, président de la Commission, s’est appuyé sur François Mitterrand et le chancelier Helmut
Kohl. Sous sa présidence, la Commission est passée, dans les faits, d’un pouvoir d’expertise et de proposition “ technique ” à un pouvoir de proposition
pleinement politique, sans devenir pour autant assimilable à un exécutif
responsable. Elle s’est ainsi identifiée à l’incarnation d’une sorte d’“
intérêt général européen ”, par opposition aux intérêts
nationaux défendus par les procédures intergouvernementales. Cette évolution
de son rôle est intervenue dans le contexte économique spécifique du
néolibéralisme triomphant des années 1980 : le recours systématique au marché
s’est imposé comme médiation exclusive pour exprimer un “ intérêt général ” communautaire. Dans cette
perspective, les pouvoirs accrus de la Commission au service de la
concurrence et de la déréglementation sont cohérents avec son renoncement à
une politique économique interventionniste privilégiant des priorités
sociales.
Ce pouvoir
politique de la Commission – entériné par les gouvernements nationaux – s’est concrétisé notamment avec l’élaboration de l’Acte unique européen, qui reprend le Livre blanc de la Commission sur
l’achèvement du marché intérieur, signé en 1986 et
prévoyant un marché unique au 1er janvier 1993. Il se poursuit avec la
préparation des textes du traité de Maastricht, signé en 1992, qui organise
la mise en place d’une monnaie unique, administrée par
une Banque centrale européenne indépendante. Autres exemples : les pouvoirs
de la Commission en matière de fusion ou en matière de concurrence, celle-ci
étant invoquée pour imposer un démantèlement des services publics. En
novembre 2001, les négociations qui ont précédé la conférence ministérielle
de l’OMC à Doha se sont réduites, pour l’essentiel, à un face à face entre Pascal Lamy (commissaire européen
chargé du commerce extérieur) et son homologue américain Robert Zoellick,
certes dûment mandatés - l’un par le conseil des
ministres chargés du commerce, et l’autre par le
président des Etats-Unis -, mais loin de tout débat public. De leur côté, les
gouvernements des Etats membres ont utilisé cette montée en puissance de la
Commission pour en faire un “ bouc émissaire ” lorsqu’ils transposent en droit national les
directives qu’elle a certes élaborées, mais qu’ils ont votées, cherchant ainsi à se défausser de leurs
responsabilités propres.
On assiste
également à une montée en puissance relative du Parlement européen depuis son élection pour un mandat de 5 ans, à
partir de 1979, au suffrage universel direct. Jusqu’au traité de Maastricht, ce
Parlement n’avait essentiellement que des pouvoirs
consultatifs et de contrôle. Ses membres peuvent maintenant contraindre la
Commission à démissionner s’ils adoptent une motion de
censure à la majorité des deux tiers. Le Parlement dispose cependant de
pouvoirs budgétaires non négligeables, puisqu’il a été
doté, en 1970 et en 1975, d’un pouvoir d’amendement, d’adoption et de refus en matière
budgétaire. L’Acte unique a introduit une procédure
complexe de “ coopération ”
associant le Parlement au processus de décision, à travers l’adoption éventuelle d’amendements qu’il présente dans les domaines relevant de la majorité qualifiée. Le
traité de Maastricht a étendu ces domaines, tout en introduisant par ailleurs
la procédure de “ codécision ” qui
permet aux parlementaires européens de rejeter définitivement un texte adopté
par le Conseil et de légiférer à égalité avec les ministres pour des mesures
concernant la recherche, l’environnement, l’information et la protection des consommateurs, la coopération, la
libre circulation des travailleurs, l’équivalence des
diplômes, la liberté d’établissement. Toutefois, restent
exclues de cette procédure de codécision les mesures concernant la fiscalité,
ainsi que de nombreuses dispositions en matière de législation sociale et de
droit du travail.
Malgré cette
extension des prérogatives parlementaires, le Conseil, en tant qu’entité collective incarnant le
pouvoir exécutif, n’est toujours responsable ni devant
ce Parlement ni devant les Parlements nationaux. Par ailleurs, aux dernières
élections européennes, en juin 1999, le taux global d’abstention
a dépassé les 50 %, ce qui ne contribue pas à renforcer la légitimité et le
pouvoir des élus.
La Cour
de justice des Communautés européennes (CJCE) est dotée de
compétences étendues et inédites : elle détient le monopole d’interprétation des traités et de
l’ensemble du droit communautaire. Elle juge les
manquements des Etats et, depuis le traité de Maastricht, peut leur infliger
des amendes. Elle a tranché sur des questions constitutionnelles et a établi
des hiérarchies d’objectifs qui devraient théoriquement
relever de choix politiques.
A ces
institutions, il faut ajouter des organes comme la Banque centrale européenne (siégeant à Francfort), la Cour des
comptes, le Comité économique et social, le Comité des régions, l’Office de lutte anti-fraude
(OLAF), le médiateur européen et de nombreux comités d’experts.
Les citoyens européens sont ainsi confrontés à des décisions qui relèvent d’institutions et de registres multiples, allant de l’audit d’experts à la sanction juridique, en
passant par des choix politiques. Cette confusion explique la vogue, dans les
milieux européens, de la notion de “gouvernance”, pseudo-concept destiné à masquer cette dilution des responsabilités
politiques.
Les non-dits de la
Convention
Profitant d’une clause introduite dans le
traité de Nice à la demande de l’Allemagne, qui
prévoyait une nouvelle conférence intergouvernementale en 2004, le Parlement
européen et les Etats les plus “fédéralistes” ont poussé à la mise en place d’une Convention,
confirmée lors du Conseil de Bruxelles-Laeken, et chargée de “réformer les institutions”, de “rendre l’Union plus proche des citoyens” et d’ “élaborer un projet de constitution
européenne”.
Présidée par
Valéry Giscard d’Estaing,
lui-même assisté de deux vice-présidents, Giuliano Amato et Jean-Luc Dehaene,
cette Convention comprend 15 représentants des chefs d’Etat
et de gouvernement des Etats membres, 30 représentants des Parlements
nationaux, 16 membres du Parlement européen, 2 représentants de la Commission
européenne et 39 représentants des 13 pays candidats à l’entrée dans l’Union. Ces derniers ne pourront
toutefois pas s’opposer à une décision consensuelle qui
se dégagerait entre les représentants des membres actuels de l’Union. La “ société civile ” dispose de 5 représentants, issus du monde syndical et du Comité
économique et social européen, mais qui ne siègent qu’en
qualité d’observateurs.
Une convention,
pourquoi faire ?
Remarquons tout
d'abord la faible place laissée aux représentants de la "société
civile" (5 personnes issues du monde syndical et du Conseil économique
et social européen siégeant en qualité d'observateurs). De plus les modalités
de consultation, similaires à celles déjà utilisées lors de l'élaboration de
la Charte, frisent la caricature et ne permettent en aucun cas qu'un débat
réel traversant les sociétés européennes puisse s'instaurer.
Le débat
institutionnel, tel qu’il s’est instauré depuis le traité de Nice,
confond, à notre avis, la fin et les moyens. Avant de nous interroger sur les
institutions, il conviendrait de savoir quel type d’Europe
nous voulons ; quelles structures certes, mais pour quelles finalités ? Si “ une Constitution n’est pas seulement un ensemble de règles plus ou moins déclamatoires
et pratiques, mais un contrat social ”, comme le
rappelle Yves Mény dans Le Monde du
28 février 2002, il faut alors reconnaître qu’il reste
encore un long chemin à parcourir pour préciser le contenu de ce contrat, à
travers l’exercice d’une
citoyenneté pleinement démocratique et légitime.
Les prises de
position récentes de certains chefs d’Etat (Messieurs Aznar, Blair, Chirac), celles de la
Commission ( Romano Prodi) et du Parlement montrent clairement qu’il s’agit d’un enjeu de
pouvoir et d’une lutte pour ce pouvoir dans la manière
dont chacun envisage l’avenir de l’Europe.
Les débats autour
des trois piliers (un jargon de fonctionnaires qui aurait intérêt à
disparaître) le montrent clairement, pour rappel :
- le premier
pilier concerne le marché intérieur dont la compétence est communautaire,
- le deuxième
pallier concerne la politique étrangère, dont la compétence est celle des
Etats mais pour laquelle il y a un Commissaire (Chris Patten) et un haut
représentant (Javier Solana). Voilà une source inépuisable de conflits.
- le troisième
piller concerne la sécurité et la justice intérieure, dont la compétence est
étatique aussi mais dont la coordination a été réactivée à la suite des
attentats du 11.09.2001.
Si la
Convention européenne tombe dans le travers de discuter des documents
intergouvernementaux préparés par des fonctionnaires, elle va s’autodétruire.
Le Traité de
Maastricht était un texte bancal dans sa conception des trois piliers. La
Convention doit faire preuve d’imagination, nettoyer toutes les contradictions juridiques entre les
Traités européens et les textes approuvés individuellement par les Etats et
écouter plus la société civile pour clarifier le débat et ne pas le laisser
dans les sphères du pouvoir, de la dominance, de la domination et de la
défense des intérêts catégoriels.
Si le citoyen
développe souvent à l'égard de l'Union européenne des attitudes paradoxales,
on le lui reproche, mais ce n’est pas étonnant. C’est parce que :
1- il comprend
très bien que les détenteurs du pouvoir se battent comme des chiffonniers,
malgré que cela se passe à huis clos, il en mesure les résultats,
2- les débats
portent sur des questions qui ne le concernent qu’au second degré et que les
questions qui le préoccupent vraiment ne sont pas abordées.
Oui, il nourrit
des attentes auxquelles l'Union ne répond pas. Oui, il a parfois l'impression
que l'Union en fait trop dans des domaines où son intervention n'est pas
toujours indispensable. Oui, il a l’impression que les responsables sont incapables de s’accorder sur la politique étrangère et sur la politique de sécurité
et de justice (deuxième et troisième pilier).
Légalité et légitimité
La démarcation
entre les notions de légalité et de légitimité n’est pas toujours évidente. La
légalité s’incarne dans le droit positif. Elle fixe le
cadre institutionnel organisant l’exercice du pouvoir et
celui de la citoyenneté, en fonction des rapports de forces existant à un
moment donné. La légalité du pouvoir est une garantie nécessaire, mais
nullement suffisante, quant à sa légitimité démocratique. Ce qui, pour nous,
fonde la légitimité démocratique du pouvoir est indissociable de l’action accomplie par ce même pouvoir. Comment son action doit-elle
contribuer à la fondation d’une légitimité démocratique
européenne, après plus de vingt ans de politiques néolibérales conduites par
des autorités légalement issues des urnes, mais favorables aux forces du
marché ?
Dans l’Europe que nous voulons, l’action du pouvoir contribuera-t-elle à corriger les inégalités
économiques et sociales, à redistribuer équitablement une partie des
richesses produites ? Contribuera-t-elle à développer l’égalité
des chances, la protection sociale ? A développer les solidarités intra et
intergénérationnelles, l’égalité entre les genres ? A
privilégier la lutte contre la criminalité financière et non à prendre des
mesures répressives contre les plus défavorisés ? A préserver la nature en
favorisant un développement durable ?
Les réformes
des institutions européennes qui seront adoptées serviront-elles ces
orientations ? La réponse est commandée par une autre question, en amont : le
futur cadre légal favorisera-t-il la constitution d’un espace public commun de débat
? Placera-t-il les responsables au pouvoir en face de leurs responsabilités
propres, sans qu’ils puissent s’abriter
derrière la “ contrainte ” des
marchés pour imposer des choix impopulaires, mais éminemment politiques, au
service de ces seuls marchés ? Ce cadre légal favorisera-t-il l’exercice d’une mobilisation citoyenne active, au
service d’une solidarité accrue, refusant un nivellement
par le bas des conditions de vie du monde du travail ?
Pour être
efficace, cette mobilisation, dont nous sommes l’un des acteurs à part entière,
doit à la fois s’enraciner dans le cadre de chacun des
espaces publics nationaux concernés, et se synchroniser en permanence avec
ceux qui partagent nos valeurs, nos refus et nos objectifs. Quand on sait,
par exemple que, dans le cadre de l’Europe des Quinze,
près de 70 % des normes techniques appliquées dans les domaines de la
protection des consommateurs, de la santé, de l’environnement,
sont édictées à Bruxelles par des comités techniques, sous la pression des
lobbies, en dehors de tout débat public, on mesure le chemin qui reste à
parcourir pour mettre en place une Union européenne véritablement
démocratique dans le cadre de l’élargissement à venir.
La construction
européenne nous concerne au premier chef, mais elle n’est pas seule en cause. Si les
dirigeants des grandes puissances sont de plus en plus contraints de tenir
leurs rencontres dans des lieux inaccessibles au plus grand nombre, au Qatar
ou dans les Rocheuses, c’est bien parce que dans un
nombre croissant de pays, des femmes et des hommes, de plus en plus nombreux,
refusent les politiques néolibérales qu’on leur impose.
Aujourd’hui la mondialisation, cela ne marche
pas, cela ne marche pas pour les pauvres du monde, dans l’Union et en dehors de l’Union. Le problème n’est pas la mondialisation, mais la façon dont elle a été gérée et
dont elle pourrait encore être gérée dans l’avenir. En
particulier par les institutions européennes, économiques et autres, et par
les institutions internationales qui contribuent à fixer les règles du jeu ;
en effet celles-ci ont trop souvent géré en fonction des intérêts privés au
sein des pays développés et parfois aussi au sein de certains pays sous
développés ou émergents. Le ressentiment qui en résulte se retourne contre
ces institutions et les pays ou les groupes d’intérêts
qui les ont instrumentalisées à leur profit.
Bien sûr, les
missions de l'Union ne sauraient être examinées de manière isolée. Si l'on
veut que l'Union puisse agir efficacement et répondre aux attentes de ses
citoyens, il convient d'établir un lien entre missions, compétences et
instruments, en précisant pour chaque mission et pour chaque objectif la
répartition de compétences la plus appropriée et le choix des instruments les
plus performants. Encore faut-il définir les objectifs de la performance d’une manière explicite et ne pas
les détourner de leurs objectifs initiaux.
Dans un premier
temps, il convient de définir les valeurs communes de l’Union et ses objectifs. En suite,
à partir des différentes missions qui sont confiées à l'Union, de définir les
objectifs concrets, préciser l'attribution des compétences, ainsi que les
instruments les plus adéquats pour remplir ces missions.
L’objectif de l’Union
L’objectif de l’Union est la paix à l’intérieur de l’Union et la paix à l’extérieur de l’Union dans la mesure de ses moyens et en vertus de ses valeurs. L’humain et son développement à long terme dans le cadre de son
environnement doivent être les valeurs centrales tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Atteindre les objectifs en fonction de ces valeurs centrales est plus facile
à l’intérieur de l’Union qu’à l’extérieur, ce doit donc être la première
priorité. La place de l’Union dans le monde dépend aussi
des valeurs des autres régions et peuples du monde et de l’interaction de l’Union avec ceux-ci, la
recherche d’un objectif commun et d’un consensus à ce propos sera plus difficile, cela constituera donc
une deuxième priorité, plus facile à atteindre lorsque l’Europe pourra servir de référence et éventuellement de modèle pour
inspirer les choix des autres régions et peuples dans le cadre de relations
mondiales plus harmonieuses.
La paix à l’intérieur
de l’Union
La paix à l’intérieur de l’Union passe par le respect des Droits fondamentaux, la justice
sociale et la sécurité des personnes et des biens.
Si le Traité
constitutionnel devait énoncer les principes sur lesquels l'Union repose et
qui doivent encadrer l'ensemble de son action, ces principes ont trouvé un
début d’expression
dans la Charte des droits fondamentaux qui est insuffisante et qui devra donc
être améliorée et ensuite intégrée dans le Traité constitutionnel.
Les missions de
l'Union européenne
Les traités
assignent déjà à l'Union des missions et des objectifs ambitieux en
apparence, mais parfois contradictoires. Une actualisation de ces missions à
la lumière de l'évolution du contexte international et de l'Union s'avère
donc indispensable.
Ces missions
qui devraient répondre aux attentes des citoyens devraient être regroupées
dans le traité constitutionnel et s'articuler autour des axes suivants :
- Garantir dans
l'espace commun et promouvoir à l'extérieur le respect de l'Etat de droit, de
la démocratie, des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- Garantir et
développer, au sein d'un marché unique et d'une union économique et
monétaire, un modèle de société européen visant à assurer une croissance économique
équilibrée, le progrès social, le plein emploi, la qualité de la vie et le
développement durable, ainsi que la cohésion économique et sociale et la
solidarité entre les Etats membres et les Régions ;
- Garantir et
développer un espace commun de liberté, de sécurité et de justice au sein
duquel la libre circulation des personnes est assurée ;
L'organisation des
compétences
Avant de se
pencher sur l’organisation
des compétences, il faut sans doute rappeler les principaux reproches faits à
la construction européenne et qui sont consignés dans la déclaration de
Laeken : le manque de démocratie et le manque de transparence.
Une mise en
lumière des principaux dysfonctionnements des Institutions européennes permet
de mieux comprendre la manière dont on doit les réformer pour répondre aux
besoins de démocratie et de transparence.
La Commission
Deux reproches
principaux peuvent être faits à la Commission :
1- du point de
vue de la démocratie : le respect des Droits fondamentaux, de la justice
sociale et de la sécurité des personnes et des biens ne sont pas organisés
dans le marché intérieur en tenant compte des intérêts de tous. En
particulier la Commission ne fait pas la différence entre les différents
besoins des citoyens, la différence de nature de ces besoins et l’équité ou la justice dans les
réponses qui y sont données.
La Commission
ne tient pas compte de l’existence :
- 1) de besoins
individuels,
- 2) de besoins
spécifiques de certaines catégories de personnes (répartition et protection),
- 3) de la
masse des effets induits (nuisances et pollutions),
- 4) des
besoins collectifs.
La Commission
privilégie systématiquement les solutions marchandes aux détriments des
solutions non marchandes, la privatisation aux détriments des interventions des
services collectifs ou publics.
2- du point de
vue de la transparence : la Commission se met à l’écoute privilégiée des groupes de
pression européens ou non européens qui défendent des intérêts privés et
marchands (UNICE, ERT, TABD, EFS, ICC, etc). Ces contacts sont privés,
occultes, parfois secrets. Il en résulte que l’influence
qu’ils ont sur les décisions rendent celles-ci non
démocratiques. Il y a un aléa moral et un détournement de la finalité de la
Commission qui est censée défendre l’intérêt général et
non pas des intérêts particuliers. Ceci est particulièrement vrai lorsque la
Commission négocie dans le cadre d’institutions
internationales telles que l’OMC. Ceci vaudra aussi si
la Commission est amenée à parler au nom de l’Union au
sein d’autres institutions internationales (FMI, Banque
mondiale, OCDE, Conseil de sécurité de l’ONU, ...).
Le Conseil
Les deux mêmes
reproches principaux peuvent être faits au Conseil :
1- du point de
vue de la démocratie : le respect des Droits fondamentaux, de la justice
sociale et de la sécurité des personnes et des biens ne sont pas organisés
dans le marché intérieur en tenant compte des intérêts de tous. En
particulier le Conseil ne fait pas respecter l’équité ou la justice dans les politiques économiques,
fiscales et sociales. Les membres du Conseil privilégient systématiquement
les intérêts nationaux aux détriments des intérêts communautaires, ils
défendent ou instaurent des avantages économiques, fiscaux aux détriments des
intérêts communautaires et de la justice sociale. Ils organisent la
protection des délinquants nationaux, surtout lorsqu’il
s’agit de délinquance en “col blanc”. L’hypocrisie est particulièrement insoutenable
lorsqu’il s’agit de protéger les
paradis fiscaux et judiciaires sur le sol national ou dans des territoires
sous leur autorité.
2- du point de
vue de la transparence : le Conseil organise la circulation de l’information par la voie
diplomatique, soit par des conversations privées, occultes, parfois secrètes.
Il en résulte que les Parlements nationaux ne sont pas en mesure d’exercer le contrôle qui est de leur responsabilité démocratique. Il y
a un un détournement de la démocratie. Ceci est particulièrement vrai lorsque
le Conseil délègue une partie de son pouvoir à des sous Conseils spécialisés
tels qu’ECOFIN où ne se retrouvent que des ministres des
finances, ou Conseil de l’agriculture, ou Conseil du
commerce extérieur. Chaque fois, les intérêts catégoriels passent avant l’intérêt de tous. C’est d’autant
plus dommageable que les intérêts sont liés les uns aux autres. Ainsi ECOFIN
défend de préférence les intérêts de la communauté financière et des
entreprises aux détriments des intérêts économiques et sociaux des
travailleurs ou d’autres catégories de populations
(étudiants, pensionnés, demandeurs d’emploi, etc). Il
faut bien se rendre compte que cette approche “spécialisée” ne pourra jamais construire d’équilibre au sein
de l’Europe si d’autres objectifs
que les objectifs présents doivent être mis en oeuvre. Pour être clair, il
faut casser l’approche fonctionnelle et spécialisée et
mettre en place une approche multifonctionnelle et garante de l’ensemble des intérêts. Il faut remplacer ECOFIN par un conseil qui
prenne en compte la politique économique et sociale (et éventuellement la
politique industrielle) et non la politique économique et financière, ECOSOC
en quelque sorte.
Ceci est vrai
aussi lorsque les Etats sont représentés dans les institutions
internationales telles que le FMI, la Banque mondiale, l’OCDE, l’OIT,
l’assemblée générale de l’ONU, etc[3].
Le Parlement
Le Parlement,
tel qu’il est
constitué aujourd’hui, n’est pas un
“Parlement européen”, il n’est que la somme d’élus nationaux ou régionaux,
souvent élus sans qu’il y ait de “programme
européen” proposé aux électeurs. Cela se remarque dans
les votes des députés qui sont sensés faire partie des mêmes sensibilités
politiques.
Pour que le
Parlement devienne européen, il faudrait des programmes communs entre
différents partis et pays européen, une plate-forme de base minimum et des
listes communes dans tous les pays, pour que les citoyens puissent voter pour
un programme et des personnalités européennes. Ceci est d’autant plus vrai si on s’oriente vers un système bi-caméral : un Parlement et une chambre des
Etats ou des régions.
Le Comité Economique
et Social
Les analyses de
l’impact des
politiques européennes sur le progrès vers un développement humain durable
devrait être de la responsabilité du Comité Economique et Social Européen et
non plus de la Commission. Le CES doit devenir un organe de constat, de
délibération à côté de la Commission qui sera renforcée dans son rôle de
contrôle de l’exécution des Traités. La société civile
représentant les acteurs qui ne sont pas directement impliqués dans les
relations de travail devraient y être renforcés. Un Conseil économique et
social modifié, donnant moins de place aux groupes I et II (entreprises et
syndicats) et plus de place au groupe III, dont la définition devrait être
revue, pourrait jouer un rôle de consultation essentiel. Il enlèverait la
possibilité aux lobbies patronaux d’influencer
directement la Commission et donnerait la possibilité à la société civile de
faire valoir son avis en dehors des revendications catégorielles et des
partis politiques. Cela ouvrirait considérablement les modalités de
communication dans une société post-moderne en permettant de faire le constat
que :
- les liens
sociaux sont devenus très lâches, mais aussi très nombreux, très médiatisés
(donc moins lisibles) et très variés,
- la solidarité
a suivi la même évolution et qu’elle est donc commutative, que son expression est à échelle variable,
qu’elle a besoin de s’exprimer dans
le réel mais que ses objets sont à la fois réels et virtuels et que la
distinction est d plus en plus difficile, surtout dans les classes les plus
jeunes de la population,
- la
morphologie de la société est de plus en plus réticulaire (en réseaux), tant
sur le plan régional que sur le plan des comportements et de centres d’intérêt. Sur le plan des
comportements, elle est plus réflexible que hiérarchique, l’individu réagissant par rapport à un groupe de référence et moins par
rapport à un groupe d’autorité. C’est
un truisme de dire que le rapport à l’autorité s’est profondément modifié et que les institutions ont du mal à
travailler dans ce nouvel environnement.
- les
régulations ne se font plus uniquement au niveau de l’Etat et des lois mais aussi au travers
de systèmes subsidiaires, de partenariats, de contrats, de prise en compte de
l’opinion publique (mais les autorités en ont une
mauvaise lecture), l’informel et l’implicite
prennent parfois le pas sur le formel et l’explicite
- si l’activité économique met en
évidence la société de l’intelligence, et surtout de l’intelligence cognitive, celle-ci ne saurait être réduite à cette
seule dimension cognitive. La créativité ne procède pas, sinon en mode mineur
de cette dimension, la place de toute l’intelligence
doit donc être assurée. Ses diversités et ses caractères hybrides, notamment
au travers des multi-appartenances sociales et culturelles, doivent être
favorisées
- une place
doit être trouvée pour les agglomérations, les régions, les pays (petits ou
grands), les Etats-Providences (nations ou régions), les organisations
supra-nationales internationales non gouvernementales, ce que l’on nomme communément la culture
aussi.
La diversité et
la complexité de la société post-moderne ne doivent pas seulement être
constatée et décrite (parfois avec certains soupirs, faute de compréhension),
elle doit aussi pouvoir être structurée à nouveau et s’exprimer dans un cadre plus libre
que le cadre rigide des institutions formalistes et décisionnaires.
Quel rôle merveilleux
pour le CES, qui n’est
qu’un organe consultatif, mais un organe consultatif qui
pourrait prendre là toute son importance morale et comme outil de
communication de la civilisation européenne. Donnons-lui cette chance.
Les Etats
non-membres de l’Union
et les ONG de pays non-membres de l’Union devraient
pouvoir être y entendues aussi lorsqu’ils estiment que
les mesures prises par l’Union portent atteinte à leurs
droits à un développement humain durable.
Le Comité
économique et social ferait rapport au Conseil et au Parlement. Les rapports
seraient adoptés selon une règle assurant une majorité large, mais pas l’unanimité.
BCE
La Banque
centrale européenne ne peut pas conserver ses prérogatives d’indépendance actuelle, elle fait
jouer un rôle économique, financier et social à l’Union,
qui ne lui laisse que peut de flexibilité. La BCE se limite à défendre les
intérêts des milieux financiers en se concentrant sur la lutte contre l’inflation. Cette disposition enlève toute flexibilité aux véritables
pouvoirs politiques, exécutifs et démocratiques de l’Union.
2.- La politique
économique et la politique monétaire
Depuis le 1er
janvier 1999, la Banque centrale européenne (BCE) est l’institution publique en charge de
la politique monétaire des 12 pays ayant adopté l’euro,
d’abord comme monnaie officielle utilisable dans les
transactions financières, puis, à partir de 2002, comme monnaie dite
fiduciaire, pour toutes les transactions dans la zone des 12 pays. L’objectif officiel unique de la BCE est de contenir la hausse des
prix, qui ne doit pas dépasser 2 % par an. Il a été fixé par les Etats
signataires du traité de Maastricht et du Pacte de stabilité.
Alors que la
monnaie est un des instruments de la politique économique, l'indépendance de
la BCE signifie, de fait, que les peuples de l'Union ne peuvent plus peser
sur les grandes orientations économiques.
Le carcan du traité de
Maastricht et du Pacte de stabilité
L’instrument principal de la
politique monétaire est la variation du taux d’intérêt
directeur de la Banque centrale, celui des prêts aux banques membres du
système monétaire intérieur à la zone euro. Une hausse de ce taux signifie
que, devant le risque d’inflation, la Banque centrale
veut freiner le crédit en le rendant plus onéreux, Une baisse du taux indique
qu’un ralentissement de la croissance ou une récession
rendent nécessaire le soutien de l’activité économique
par le crédit bancaire aux entreprises et aux ménages ; c’est aussi un soutien pour les marchés financiers dont les titres sont
valorisés quand les taux d’intérêt sont moins élevés. Il
faut cependant noter que l’influence des Banques
centrales sur les activités des banques membres a diminué, avec la
déréglementation du crédit, les privatisations, et l’essor
des marchés financiers. Les grandes banques tirent leurs plus gros profits d’opérations financières sur titres, de commissions sur les fusions de
sociétés, ou de prêts spéculatifs à très court terme en devises fortes aux
pays émergents.
Une banque centrale
inefficace
Quoiqu’il en soit, c’est le maniement défectueux de ce taux d’intérêt
central depuis 1999 qui est reproché à la BCE. On passera ici sur les
discussions théoriques concernant son orientation trop “
monétariste ”. Les critiques concernent :
- la
préoccupation unique de l’inflation, au détriment de la croissance et l’emploi
;
- la fixation d’une limite de hausse des prix à 2
%, ce qui est beaucoup trop restrictif et rigide ;
- la lenteur et
la faiblesse de la baisse du taux central quand il y a ralentissement ou menace
de récession économique en Europe, comme en 2001.
Ces critiques
sont fondées. Mais elles ne peuvent avoir d’effets pratiques que si elles s’en
prennent également au carcan du traité de Maastricht et du Pacte de
stabilité, dont sont issus l’objectif unique de la
Banque centrale – lutter contre l’inflation
– et le seuil des 2 %. En relation avec une réduction
des déficits publics - à moins de 3 % du produit intérieur brut (PIB) - des
Etats membres, et l’objectif d’un
déficit public zéro, quelle que soit la conjoncture économique, le Pacte de
stabilité prévoit des sanctions financières contre les Etats ne respectant
pas les critères de Maastricht.
Dans les faits,
les normes quantitatives de stabilité ont été dépassées dans la zone euro en
2001. La hausse des prix s’est révélée un peu supérieure à 2 %. Surtout, l’Allemagne,
en récession, frôle les 3 % du PIB de déficit budgétaire, mais son
gouvernement a obtenu de ne pas être sanctionné. Cela indique que les
strictes normes de stabilité ont bien davantage un caractère politique qu’une justification macro-économique.
Pour la
politique monétaire européenne, l’adjonction d’un objectif de croissance et plein
emploi à celui de la stabilité relative des prix est une réforme souhaitable,
ainsi que la suppression du seuil d’inflation de 2 %.
Mais on ne peut les dissocier de la demande d’un abandon
officiel, par les Etats membres, des critères du Pacte de stabilité.
... qui outrepasse ses
prérogatives
La BCE tend à
intervenir sur tous les aspects de la politique économique et sociale. Au nom
de la défense de l'Euro et de la stabilité des prix, elle adresse
régulièrement des remontrances aux gouvernements de l'Union porteurs pourtant
de la légitimité politique. Elle demande constamment l’assouplissement du marché du travail
dans les Etats membres, où les travailleurs resteraient excessivement
protégés ! La politique anti-inflationniste préconise ainsi la discipline du
marché pour l’emploi et les salaires, et privilégie les
intérêts des possesseurs d’argent.
Des choix politiques
La rigueur
anti-inflationniste de la BCE est un héritage du Système monétaire européen
né en 1979 et dominé par l’importance internationale du mark et la politique anti-inflationniste
de la Banque centrale allemande. C’est pour respecter
une discipline monétaire s’exerçant à travers le taux de
change que le tournant de la politique, dit “ de la
rigueur ”, a été pris : plutôt que quitter le SME, les
gouvernements ont décidé d’y rester, pour une “ monnaie forte ”, et au prix du chômage qui a
frappé durement les salariés. La contrainte du SME fut une sorte d’adaptation aux pays d’Europe continentale, des “ révolutions conservatrices ” britannique et
américaine (Thatcherism et Reagonomics), qui ont comporté de brutales
mesures de politique monétaire restrictive entre 1979 et 1982.
Ces politiques
monétaires anti-inflationnistes contribuèrent fortement à l’essor ultérieur de la finance et
du pouvoir de l’argent : l’inflation
risque de déprécier les actifs financiers détenus par les créanciers et de
perturber les Bourses. Elles furent en même temps défavorables au salariat et
à la protection sociale.
L’idéologie économique dominante,
au moins jusqu’en 1998, privilégia la relation entre hausse
excessive des prix et plein emploi. Elle popularisa l’idée
qu’il existe un taux de chômage permettant la stabilité
relative des prix, propre à chaque pays (le NAIRU[4] anglo-saxon). Aux Etats-Unis il serait
d’environ 5 % ; en
France de 9 %. Cela voulait dire que le plein emploi, en stimulant des
hausses de salaires, était inflationniste. Ainsi, c’est
sur le salariat qu’était reportée la responsabilité
principale de l’inflation. Quand la Fed américaine a
fortement augmenté son taux directeur en 2000, elle a invoqué les hausses des
salaires résultat du quasi-plein emploi. La BCE, de son côté, demande
constamment l’assouplissement du marché du travail dans
les Etats membres, où les travailleurs resteraient excessivement protégés !
La politique anti-inflationniste préconise ainsi la discipline du marché pour
l’emploi et les salaires, et privilégie les intérêts des
possesseurs d’argent.
Cependant, avec
la récession, c’est
le risque de baisse excessive des prix qui est apparu en 2001. Il en va de
même au Japon, l’une des trois premières puissances
économiques mondiales, où la Banque centrale utilise tous les moyens en son
pouvoir, comme la réduction à zéro de son taux central d’intérêt, Quant à la valeur externe de la monnaie japonaise, le yen,
son taux de change par rapport au dollar a beaucoup baissé, ce qui pourrait
favoriser les exportations, et, en augmentant les prix des produits importés,
contribuer à stopper la déflation des prix intérieurs.
Taux de change et
hiérarchie monétaire internationale
La question du
taux de change pose un nouveau problème pour la politique monétaire. En
principe, les Banques centrales ne s’occupent que de la valeur intérieure de leur devise, le
taux de change relevant de la responsabilité des ministres des finances.
Cependant, les grandes Banques centrales agissent ponctuellement entre elles,
par l’achat et la vente de telle ou telle monnaie
étrangère, éventuellement contre leur propre devise. Ainsi, en juin 1998 la
Fed américaine a soutenu le yen, dont le taux de change contre le dollar
baissait excessivement ; elle l’a fait en vendant des
dollars et en achetant des yens. A l’automne 2000, c’est le taux de change de l’euro par rapport au
dollar qui a été soutenu de la même façon. Ces interventions ponctuelles ne
sont pas revendiquées, puisque ce sont en principe les marchés privés qui,
depuis les années 1970, fixent le taux de change des trois principales
monnaies mondiales : le dollar, largement en tête, l’euro
(qui a remplacé le mark) et le yen.
Mais il arrive
que le dollar soit jugé trop fort (en 1985-1987) ou que, au contraire, le
gouvernement américain veuille un “ dollar fort ” (depuis 1995) par rapport aux
deux autres monnaies principales. Des mesures sont alors prises
officiellement, comme en 1985/87, ou, dans la pratique, de façon
consensuelle. Cette coopération monétaire entre grandes puissances n’empêche pas les rivalités : l’euro n’a-t-il pas été parfois présenté comme un concurrent du dollar ?
Cependant, au plan monétaire, il y a de fait un G3 impérial, dominé par les
Etats-Unis.
La politique
monétaire de la BCE s’inscrit dans ce contexte de hiérarchie internationale, qui se combine
avec la fixation privée des taux de change par les marchés. Une régulation officielle des taux des trois grandes
monnaies, même très souple (bande de fluctuations tolérables), est exclue par
les Etats-Unis, et les timides suggestions françaises ou allemandes allant en
ce sens, à l’automne 1998, ont été vite enterrées au nom
de la concurrence. Les marchés sont spontanément favorables au meilleur : le
dollar. Cependant, en cas de crise – comme celle du 11
septembre 2001 – les Banques centrales les plus
importantes prennent toutes des mesures ponctuelles de soutien au billet
vert.
L’hégémonie des grandes monnaies,
dollar en tête, est particulièrement défavorable aux pays du Sud, où éclatent
des crises de la monnaie nationale dépendante des crédits étrangers en
monnaies fortes et à taux d’intérêt élevés En demandant
à tous les Etats de taxer les opérations de change à court terme pour lutter
contre la spéculation sur les monnaies, la taxe de type Tobin serait une
réforme positive, à la fois contre l’instabilité des
monnaies et contre les prérogatives monétaires des grandes puissances. D’autres mesures sont à proposer, en relation avec le changement d’orientation de politique européenne actuelle.
Propositions
1- Poursuivre
la réflexion sur la hiérarchie internationale des monnaies et le régime des taux
de change flottants. La domination du Nord sur le Sud passe aussi par celle
des grandes devises sur les monnaies dépendantes. Il serait opportun de faire
connaître et discuter les propositions de Keynes formulées en 1943-44. Des
tentatives de formation de monnaies régionales seraient à étudier. L’euro est parfois pris comme un
modèle de monnaie régionale, sans discussion de ce qu’il
représente par rapport au régime monétaire international actuel, et sans
critique des marchés des changes.
2- Contester la
notion d’indépendance
de la BCE, et des Banques centrales en général. Cette indépendance signifie
que toute Banque centrale doit mener une politique de stabilité de la monnaie
sans prendre en compte la politique des finances publiques, c’est-à-dire contre les dépenses de l’Etat, le
déficit budgétaire et l’endettement public, quand
ceux-ci sont jugés excessifs. Mais, en revanche, aucune limite n’est fixée à l’endettement privé et à la liberté
des marchés financiers. Ainsi l’indépendance de la
Banque centrale revient à donner un espace de liberté supplémentaire à la
finance privée vis-à-vis de la finance publique.
3- Réfléchir
sur ce que devrait être une politique publique du crédit, par rapport à la
politique monétaire. Les deux sont différentes : alors que la politique
monétaire surveille la valeur de la monnaie et manie un taux d’intérêt directeur de portée
générale, le crédit public dépend du Trésor, c’est-à-dire
des finances publiques : il se spécialise dans certains domaines, avec des
taux et une fiscalité sélectifs, et des Fonds ou autres institutions
spécialisées.
4- Faut-il
proposer, pour pallier la menace de récession, et pour soutenir les
investissements d’intérêt
collectif, la création d’un (ou de plusieurs) Fonds
public(s) au plan national, et /ou au plan européen ? Faut-il aussi revenir
sur la privatisation des banques, qui contamine aujourd’hui
en France les Caisses d’épargne et la Caisse des dépôts
?
5- La BCE agit
dans le cadre d’accords
européens dont la critique doit se poursuivre. Elle est actuellement la seule
institution publique dont l’objet est commun à tous les
habitants des 12 pays de la zone euro. “ Un marché, une
monnaie ”, disait la Commission européenne en 1987. En
2002, cette conception essentiellement mercantile est insoutenable. Il ne s’agit pas seulement de rééquilibrer les pouvoirs, par la formation de
finances publiques européennes, à coté de la BCE indépendante, mais de
changer l’orientation des politiques de l’Europe.
3.- A la recherche de
l’Europe sociale dans les biais et les contradictions
Sous le signe de la
déréglementation
On peut
concevoir deux grandes méthodes pour la construction européenne : la voie de
l'harmonisation cherche à faire converger vers le haut les règles et normes
sociales ; la voie de la déréglementation organise au contraire une mise en
concurrence des systèmes sociaux et fiscaux au sein du nouvel ensemble. C'est
cette dernière voie qui a été choisie de manière parfaitement explicite avec
l'Acte unique de 1986, qui instaure un marché unique et déprotège les marchés
publics. Les traités ultérieurs (Maastricht, Amsterdam et Nice), ainsi que la
pratique des institutions européennes, ont précisé cette orientation et en
ont dégagé la philosophie, qui tourne autour des principes suivants :
- impulsion et
organisation, à travers Livres verts et directives, d’un mouvement général de
privatisation des services publics ;
- refus de
toute politique industrielle conséquente, au profit d'une politique de
concurrence qui s'oppose systématiquement à la constitution de pôles
européens ;
- budget
communautaire minimal, plafonné à 1,27 % du PIB, limitation des fonds
structurels et mise en concurrence des fiscalités directes ;
- conception
hiérarchique des fonctions étatiques supranationales : une monnaie commune,
avec la BCE, mais pas de droits sociaux formulés et garantis au niveau
européen, sinon une Charte des droits fondamentaux définis a minima.
Le salaire comme
variable d’ajustement
Le maniement du
taux de change servait à ajuster des réalités économiques différentes du
point de vue de la conjoncture et de l'inflation. Dorénavant, l'ajustement
par les taux de change n'est plus disponible, ce qui va créer une rigidité
nouvelle. Si les taux d'inflation entre les pays de la zone euro se mettent à
diverger, le seul remède pour les pays à inflation plus rapide, face à la
perte de compétitivité qu'elle entraîne, sera de freiner leur croissance ; le
risque est grand que s'installe une tendance générale à s'aligner sur les
(gros) pays à faible inflation et à croissance médiocre. Pour qu'il en soit
autrement, il faudrait supposer que les dynamiques économiques nationales se
soient parfaitement unifiées, ce qui n'est évidemment pas le cas.
La construction
européenne ne comporte aucune règle viable d'évolution des salaires. Celle-ci
devrait refléter la diversité des situations en matière d'économie et
d'emploi dans les Etats membres. La seule règle rationnelle et coopérative
consisterait à dire que les salaires doivent augmenter au rythme de la
productivité du travail. Mais rien n'est fait pour la mettre en place, et, en
son absence, la monnaie unique devient un instrument disciplinaire adéquat
aux préceptes néolibéraux. C'est une garantie à peu près irréversible contre
le retour au laxisme monétaire et à l'inflation, et plus précisément encore
contre les “
dérapages ” salariaux. La priorité accordée à la faible
inflation contribue ainsi à reproduire la nouvelle norme salariale qui se
résume au maintien du pouvoir d'achat salarial.
Une embellie possible
Depuis le
Conseil européen de Luxembourg, en novembre 97, poursuivi par celui de
Lisbonne, en mars 2000, l’UE a décidé de développer des politiques communes pour l’emploi. La Commission a développé une “stratégie
européenne”, publié des “ lignes
directrices ” pour ces politiques, et les quatre piliers
évoqués dans ce document sont :
- employabilité
ou augmentation de la capacité d’insertion professionnelle,
- esprit d’entreprise,
- adaptabilité,
- égalité des
chances, qui va au-delà de la seule égalité professionnelle.
Les
gouvernements doivent présenter chaque année un plan national d’action pour l’emploi, conforme à ces orientations. Le plein emploi est même
redevenu un objectif européen ambitieux : un “ taux d’emploi ” égal à 70 % dans tous les pays de l’Union en 2010.
Cela pourrait a priori paraître une bonne nouvelle
pour tous ceux qui critiquent le caractère exclusivement financier, monétaire
et libéral des politiques européennes. Malheureusement, les orientations
politiques adoptées sont loin de viser un plein emploi “ de qualité ”. Elles favorisent au contraire le développement des emplois
flexibles, précaires et mal rémunérés, promus seule alternative au chômage.
Le temps partiel, subi ou “ voulu ”,
faute d’équipements collectifs pour la petite enfance, progresse,
mais demeure largement réservé aux femmes. Les emplois à durée limitée se
développent partout, pour permettre aux entreprises de reporter le risque
entrepreneurial sur les salariés. Les emplois à bas salaires, souvent démunis
de protection sociale, se multiplient au non de “ l’insertion ”.
L’objectif central de taux d’emploi de 70 % concerne la population de 15 à 65 ans : l’Union européenne préconise donc explicitement le travail des
adolescents – le travail des enfants existe en son sein,
et pas uniquement au Royaume Uni – et des personnes de
60 à 65 ans !
La Commission,
au nom de la “
soutenabilité ” des régimes de retraites, veut empêcher
toute augmentation des dépenses de retraite, malgré la hausse générale de la
part des retraités dans la population totale. Elle prône donc la réduction
des pensions et le recul de l’âge de la retraite. Elle a
été entendue au Conseil européen de Barcelone de mars 2002 où les chefs d’Etat et de gouvernement ont décidé d’augmenter
de 5 ans l’âge moyen de départ à la retraite d’ici 2010. Les lignes directrices des politiques d’emploi, outre l’incontestable objectif d’égalité professionnelle, préconisent l’“esprit d’entreprise”, l’“adaptabilité” et l’“employabilité” :
elles rejettent donc la responsabilité du chômage sur les individus, au lieu
de s’attaquer aux politiques économiques restrictives
qui engendrent et perpétuent le chômage de masse.
Que les pays de
l’Union joignent
leurs efforts pour lutter contre le chômage et l’exclusion[5] est une fort bonne chose. Mais il faut
radicalement réorienter les objectifs et les moyens actuellement privilégiés.
Les priorités doivent être données à la lutte contre le chômage et au
développement de l’emploi
“de qualité” ou “convenable”, à la réduction de la précarité et
de l’insécurité laborieuse, à la non-conditionnalité de
la protection sociale pour les chômeurs et les personnes en marge du marché
du travail.
Refus de politiques
structurelles d'harmonisation
La réduction au
minimum des fonds structurels rend impossible l’harmonisation vers le haut des systèmes de protection
sociale qui impliquerait une augmentation des transferts vers les régions ou
pays socialement attardés. La politique de concurrence et la logique de
privatisation s’opposent à de véritables politiques
structurelles. Plutôt que de coordonner les services publics existants, dans
des domaines comme l’énergie, les transports ou les
communications, on préfère les privatiser et les placer dans une relation de concurrence.
Sous prétexte d’efficacité, on exclut ainsi, sans aucun
débat, la possibilité même de politiques coordonnées qui permettraient, par
exemple, de corriger la priorité donnée au transport routier, ou de planifier
la sortie du nucléaire.
Là résident les
causes fondamentales d'un impossible élargissement vers l'Est et le Sud sur
des bases de progrès : l'hétérogénéité croissante de l'Union impose davantage
de politiques structurelles et de fonds de cohésion, davantage de moyens
alloués à des objectifs communs de développement et de droits – et non moins ; elle impose de
préserver les moyens budgétaires des pays candidats et d'élargir ceux de
l'Union – et non l'inverse ; elle impose des procédures
politiques démocratiques de choix dans la hiérarchie des objectifs et dans
les moyens adéquats aux fins déterminées en commun – et
non un droit absolu de la concurrence et une règle universelle et
destructrice de privatisation généralisée.
Après l'embellie, le
risque de la récession provoquée
L’euro est né sous le signe d'un
paradoxe : la conjoncture favorable à sa mise en place résultait d'un
relâchement des préceptes néolibéraux, et non de leur application rigoureuse.
L'économie européenne a bénéficié d'une dévaluation compétitive de fait (avec
la hausse du dollar), d'une moindre rigueur budgétaire, et d'une relance de
la consommation salariale, par freinage de l'inflation et reprise de
l'emploi. L’embellie qui s’en est
suivi a permis d’oublier le fameux Pacte dit de “ stabilité ” et, par antiphrase, de “ croissance ”, signé à Amsterdam en juin 1997 et qui fixe la règle du jeu en matière
de politique économique. Cette parenthèse est en train de se refermer en
raison d'une perte de dynamisme des exportations et de la consommation
intérieure : la mise en place de l'euro n'a pas mis l'Europe à l'abri du
retournement de conjoncture aux Etats-Unis, et le biais néolibéral a empêché
que soit sérieusement explorée la voie d'une relance cordonnée.
Que faire alors
en cas de récession ? Tous les économistes raisonnables savent que
l'application du Pacte de stabilité conduirait à accentuer les effets d’une éventuelle récession en
freinant des quatre fers quand il faudrait au contraire soutenir la demande.
Le débat autour de cette question devrait être mené publiquement, mais il ne
sort pas des réunions de l'Eurogroupe, où les ministres des finances essaient
de se concerter avec le directoire de la BCE. Tout semble indiquer, par
ailleurs, que la Commission européenne, chargée de fait du guidage de la
politique économique, va s'obstiner dans la réaffirmation du dogme. Par
exemple, elle vient de dénoncer à nouveau ces fameuses “ rigidités structurelles
qui continuent de miner la réactivité et la croissance potentielle de
l'économie de la zone euro ”. Elle prétend même
détenir des “
preuves empiriques ” établissant que la bonne santé
de l'économie est “ corrélée au niveau de développement de son système financier ”.
L'emploi au second
plan
Le traité d’Amsterdam avait pris le pari de
concilier les critères financiers et budgétaires de mise en place de l'euro,
pérennisés par le Pacte de stabilité, et des politiques favorables à
l'emploi. Un système de plans nationaux pour l'emploi a été mis en place, et
des objectifs spécifiques ont été assignés, privilégiant l'augmentation du taux
d'emploi plutôt que la baisse du taux de chômage. Mais, là encore, la fin de
l’embellie nous ramène à la situation incertaine du
milieu des années 1990. Il existe un conflit d'objectifs entre, d'une part,
la rigueur monétaire et financière, et, d'autre part, le soutien de
l'activité. Comment doit-on arbitrer, et qui va le faire, entre inflation et
emploi ? Le blâme adressé à l'Irlande, coupable d'inflation (à moins de 5 %)
alors qu'elle a fait descendre son taux de chômage en dessous de 4 %, est une
indication très claire sur l'ordre des priorités : l’emploi
vient en second.
Vide institutionnel
L'absence
d'instruments de coordination entre les politiques économiques de chaque pays
crée un vide institutionnel, par ailleurs cohérent avec la déréglementation
financière. Bientôt cinq ans après le sommet d'Amsterdam de juin 1997, on ne
trouve toujours aucun élément de ce “ gouvernement économique ” dont
Lionel Jospin avait fait l'une des conditions de la signature de la France.
On apprend de deux experts, dont l'engagement européen ne saurait être mis en
doute[6], que l’Union européenne ne dispose ni de
“ charte de
politique économique ”, ni d’un
“ exécutif
collectif ”. Dès lors, rien ne garantit la “ prévisibilité des
politiques économiques ”, ni ne permet de “ mieux articuler procédures
communautaires et décisions nationales ” ; on ne
dispose ni d’une “ véritable politique de change ”, ni d’une “ stratégie monétaire pour l’élargissement
”.
La construction
économique européenne est donc bancale et tronquée. Il n'est même pas
possible, dans ces conditions, d'imaginer une division des rôles qui
attribuerait la politique monétaire à la BCE et la politique budgétaire à
chaque gouvernement : le corset monétaire est assez puissant pour réduire
l'autonomie des politiques budgétaires. Et l’on en vient à théoriser, sur la base de ce constat de
carence, l'élargissement des responsabilités de la BCE et la perte
d'autonomie budgétaire : “ Cette croissance ne viendra pas d'une gestion autonome de la
demande. Il serait en effet illusoire de s'y engager, alors que l'instrument
monétaire a été mis en commun par les participants à l'Union monétaire. La
règle du jeu macro-économique est désormais claire : c'est à la BCE qu'il revient
de piloter la demande globale pour l'ensemble de la zone, et les
gouvernements nationaux ne doivent, par rapport à cette référence, que
procéder à des ajustements à la marge, en fonction de l'écart entre leur
situation conjoncturelle et celle de la zone prise dans son ensemble. Ces
ajustements peuvent être importants conjoncturellement, mais pas à moyen
terme ”[7].
Lutter contre le
chômage et pour un plein-emploi de qualité
L’objectif d’un
taux d’emploi de 70 % est largement arbitraire. Il
reflète une conception instrumentale de l’être humain,
considéré comme une simple ressource de main-d’œuvre.
Autant il faudrait soutenir concrètement les aspirations de toutes les femmes
et de tous les hommes qui souhaitent trouver un emploi, autant il est absurde
de décréter un taux uniforme pour tous les pays de l’Union.
Pourquoi 70 % et pas 78 ou 82 % ?
On pourrait
penser que l’objectif
actuel d’augmentation du taux d’emploi
correspond à une volonté de faire baisser le taux de chômage et d’enrayer le processus d’extension de la pauvreté,
mais ce n’est pas le cas. Si la priorité est à l’augmentation du taux d’emploi, c’est pour éviter les pénuries de main-d’œuvre et
les risques de dérapage salarial inflationniste, et éliminer les déficits des
régimes sociaux. Tous les moyens et tous les emplois sont bons pour atteindre
l’objectif ; en particulier les réformes de l’assurance-chômage visent à rendre celle-ci “plus
incitative au travail”, en imposant à tout bénéficiaire
d’allocation l’obligation d’exercer une activité pour continuer à toucher ses allocations. La
remise au travail s’applique aussi, dans certains pays d’Europe, aux handicapés, aux malades et aux chômeurs âgés. Faire
reculer l’âge de la retraite augmenterait aussi la main
d’œuvre disponible. La cohérence de l’ensemble n’est donc pas évidente.
Au contraire, l’objectif central pour une
politique européenne de l’emploi devrait être un taux de
chômage et de sous-emploi quasi-nul (un taux “
frictionnel ” de 1 à 2 % pouvant être considéré comme
difficilement compressible). Tout en faisant respecter le droit de chacune et
chacun à un “emploi convenable”,
conformément à la définition de l’Organisation
internationale du travail (OIT), c’est-à-dire un emploi
rémunéré de façon qu’il permette de vivre décemment ; un
emploi qui corresponde aux qualifications et aux aspirations des travailleurs
en termes de conditions d’emploi et de travail ; et
aussi un emploi qui s’inscrive dans le respect des
droits collectifs : droit syndical, droit de négociation, droit de grève. Il
faut noter que, déjà mis à mal dans les zones franches et certaines zones de
reconversion[8], l’exercice du droit syndical et du
droit de grève risque fort d’être limité par les
nouvelles mesures anti-terroristes de l’espace
judiciaire européen[9].
En conformité
avec l’article 31 §1 de la Charte européenne des droits sociaux, “tout travailleur a droit à
des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité”. Tout emploi à temps partiel contraint, d’intérim, sous-payé, dangereux, etc., ne rentre donc pas dans cette
catégorie. Il importe donc de distinguer, dans les statistiques, la catégorie
des salariés qui, sans être chômeurs, doivent subir des emplois “ non convenables ”, et sont donc en situation de
sous-emploi ou de “mal-emploi” :
les politiques doivent viser à réduire aussi bien ce mal-emploi que le
chômage total.
Réduire la précarité
La
généralisation et l’acceptation
de la précarité sont en lien direct avec l’objectif d’augmentation prioritaire du taux d’emploi. Dans
l’UE, certains se rendent d’ailleurs
compte de cette dérive et ont tenté récemment de mettre aussi l’accent sur la “qualité de l’emploi” ; la présidence belge du second semestre
2001 a tenté de promouvoir la définition d’indicateurs
européens de qualité de l’emploi. Il est en effet urgent
de faire cesser cette confusion entre “activité” ou “petit boulot” et
emploi : le terme d’“emploi” ne
doit pas s’appliquer à des situations de travail
précaire et flexible, dont la rémunération n’assure plus
le minimum vital.
Mais on ne peut
lutter contre la généralisation de la précarité sans réformer à la fois les
politiques publiques de l’emploi (grandes pourvoyeuses d’emplois au rabais
comme dans le service public dans de nombreux pays) et les politiques d’emploi des entreprises privées. La Commission évoque rituellement
dans ses textes la nécessité d’un “meilleur équilibre entre
souplesse et sécurit锼 sans jamais préciser si c’est la “souplesse” qu’il faut renforcer, ou bien la sécurité ! Il
faut viser une réforme du fonctionnement du marché du travail et de la
protection sociale visant à assurer une sécurité de revenu et d’existence à chaque travailleur, indépendamment de l’emploi qu’il occupe à un moment donné.
Assurer une vraie
protection sociale contre les aléas du marché
La plupart des
gouvernements européens ont adopté des réformes de l’indemnisation du chômage qui vont
dans le même sens : réduction du montant et de la durée des allocations,
sélectivité accrue dans l’accès aux droits,
particulièrement le droit aux soins et à la formation. En définissant une
protection sociale minimaliste, ils répondent à la volonté de réduction des
dépenses sociales de l’Etat et à la nécessité, réclamée
par les employeurs, de s’appuyer sur l’existence d’une “armée de
réserve”.
La protection
sociale minimaliste est la contrepartie de la prétendue “activation”
des dépenses de chômage : elle organise le retour contraint à l’emploi en contradiction avec l’article 5 §2 qui stipule que “nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire”. Pourtant, des dispositifs comme le New Deal au Royaume-Uni, l’aide sociale en Allemagne, ou encore le Pare en France lient, plus ou
moins strictement selon les cas, l’obtention d’une allocation à l’acceptation de n’importe quelle tâche. Le retour à l’emploi est
le leitmotiv des directives européennes. Il s’agit de
combattre les “effets
désincitatifs de la protection sociale”, c’est-à-dire les réticences marquées par les bénéficiaires d’allocations à accepter les emplois dégradés qui leur sont proposés.
Cette obsession
de la “désincitation” renvoie à une analyse qui réduit la figure de l’allocataire (mais aussi de tous les travailleurs) à celle d’un “agent économique” dont
les motivations au travail sont basées sur le seul calcul coût-bénéfice de
court terme. Elle néglige ce que l’immense majorité des
études sociologiques ou statistiques démontrent, à savoir que les chômeurs et
Rmistes recherchent intensément des emplois qu’on ne
leur propose pas, et acceptent le plus souvent les bribes d’emplois que les politiques publiques leur réservent.
Si
désincitation il y a, elle n’est pas due au comportement des chômeurs, mais à la mauvaise qualité
des travaux proposés et souvent imposés. Ces tâches ou activités (car il peut
s’agir de stages) sont présentées comme des transitions
vers le marché du travail et comme des conditions aux aides sociales, mais
elles appartiennent le plus souvent à la catégorie des petits boulots
précaires renforçant la marginalisation des chômeurs.
L’accès aux droits
sociaux et les services publics
Les droits
sociaux (soins, éducation, formation, circulation ¼) sont des droits reconnus par la
Charte de l’UE à tout résident. La garantie de cet accès
demeure l’existence de services publics qui sont, en
principe, les lieux d’exercice de ces droits ; en
particulier les services publics non marchands, comme la santé et l’éducation. Les services publics marchands devaient – devraient – rendre l’accès
aux transports, aux communications possibles pour tous en pratiquant des
tarifs dits “ abordables ” Que ce
soit le système d’assurances sociales de Bismarck au
19ème siècle en Allemagne, le système de soins gratuits et de minimum vital
de Beveridge au Royaume-Uni à partir de 1942, ou encore les ordonnances sur
la Sécurité sociale en France en 1944, etc, tous ces systèmes se sont fondés
sur une idée commune de santé publique, mais à l’intérieur
des frontières.
Le système de soins
est mis à mal par les gouvernements européens et n’est plus accessible à tous ; en
France, la Couverture maladie universelle (CMU) a tenté, en vain, de suppléer
les défaillances du système public, mais le plafond de ressources exigé pour
en bénéficier est tellement bas (3 650 F, soit 556 euros) que nombre de
bénéficiaires de minima sociaux et de bas salaires n’y
ont pas droit et se trouvent, de fait, partiellement exclus de l’accès aux soins.
Aujourd’hui cette inégalité de base
subsiste avec les lycées professionnels, l’insuffisance
des bourses pour étudiants, etc. Elle ne peut qu’être
aggravée par la privatisation, prétendument justifiée par l’obligation “d’adapter” l’école. Mais à qui ou à quoi faut-il l’adapter ? Il faut lui opposer l’amélioration du
service public d’éducation.
Les services
publics non marchands reposaient sur une égalité de traitement qui, petit à
petit, s’est
transformée, à partir de l’idéologie du “droit à la différence” et des “discriminations positives” en égalité des chances
et implique donc une “différence de traitement”. Le droit à la formation pour les salariés et les chômeurs était
pris en charge par le patronat ou les services publics ; les contrats (Pare
ou autres) que signent désormais les demandeurs d’emploi
dans les différents pays de l’UE réduisent
considérablement leurs droits à la formation, en temps et en qualité. Ils ne
sont censés obtenir des formations que dans le cadre du marché de l’emploi local.
Le socle d’universalité sur lequel
reposaient les différents services publics s’est érodé à
partir de présupposés discriminants ; les changements internes se
produisaient en référence à l’individualisation et à l’introduction de financements privés dans le même temps.
Les services
publics marchands sont aujourd’hui ouverts à la concurrence, c’est-à-dire aux
critères de la rentabilité des sociétés privées, au prétexte que cela fait
baisser les tarifs et sert mieux les consommateurs. Les exemples de
libéralisation sont, au contraire, inquiétants pour les clients (chemins de
fer britanniques, électricité en Espagne, en Californie, etc.). De plus, ils
mettent en cause le principe de la péréquation des tarifs qui permet de
servir également tous les usagers. Il faut poursuivre la bataille contre la
privatisation de ces services, dont l’amélioration est à
discuter par leurs salariés, leurs usagers et les dirigeants politiques, aux
niveaux nationaux et de l’Europe.
Propositions
1- Redéfinir le
droit social autour des notions d’unité économique et sociale et de réseau : les mêmes droits doivent
être garantis, par la loi et la négociation, pour les salariés des
entreprises donneuses d’ordre et sous traitantes. Ce
développement d’un “ droit de la
co-activité ” est nécessaire pour contrer les pratiques
de morcellement du salariat, d’externalisation, de
filialisation qui vident de son contenu le droit du travail et réduisent à l’impuissance les organisations de salariés.
2- Refuser la
diminution des cotisations sociales patronales pour les entreprises qui
recourent systématiquement aux emplois précaires (temps partiel contraint et
CDD, intérim, etc.), comme c’est actuellement le cas.
3- Définir de
nouveaux droits pour les travailleurs, au-delà de leur position d’emploi du moment : plutôt que d’accroître sans cesse la pression de l’insécurité
sociale, les sociétés européennes sont assez riches pour assurer à leurs
citoyens une garantie d’emploi et de revenu, grâce à un
financement mutualisé des coûts par les entreprises et la collectivité (comme
la Sécurité sociale actuelle).
4- Adopter des
normes de convergence concernant l’emploi et le salaire. Elaborer un cadre régulateur européen. Il faut
définir une norme salariale minimale, fixée par rapport à la définition du
PIB.
5- Mettre fin
au cumul des allocations sociales et du salaire. Le cumul entre une
allocation et un bas salaire, au nom de l’“incitation au travail”, favorise et
légitime le développement des emplois les plus précaires et revient à faire
payer, pour partie, le coût du travail par le contribuable. L’évolution actuelle nous conduit droit vers le workfare, où la seule perte d’un emploi n’ouvre plus de droits, mais où il faut travailler pour toucher son
allocation de chômage.
6- Etablir, au
niveau européen, un impôt unifié sur les revenus du capital.
C’est une mesure absolument
essentielle pour éviter une harmonisation vers le bas, une perte de substance
fiscale aggravée des Etats, et un nouveau bond en avant des inégalités. Les
ressources de cet impôt viendraient alimenter un budget européen destiné
principalement à des fonds de cohésion et d’harmonisation
sociale. C’est le complément indispensable d’une taxe de type Tobin sur le marché des changes.
7- Etablir, au
niveau européen, un impôt unifié sur les bénéfices des entreprises.
C’est une mesure absolument essentielle
pour éviter une concurrence fiscale et des délocalisations, et un nouveau
bond en avant des inégalités.
8- Mener une
politique macro-économique dynamique alliant croissance et réduction du temps
de travail.
L’expérience française de 1997 à
2001 montre que le “ticket gagnant”
de la baisse du chômage, c’est la croissance plus la
réduction du temps de travail (RTT). Il faut donc, à la fois, des politiques
macro-économiques favorables à une croissance soutenable, et une politique
européenne de réduction du temps de travail. Les leçons des 35 heures en
France sont claires : 400 000 emplois ont été créés par les entreprises qui
ont réduit la durée du travail, malgré certains aspects peu favorables à l’emploi contenus dans la loi Aubry. Il est donc prouvé qu’on peut créer des millions d’emplois à l’échelle européenne à condition de déclencher un mouvement général de
RTT avec obligation d’embauches.
L’argument de la compétitivité
internationale, qui a justifié les aspects négatifs des lois Aubry
(développement de la flexibilité du temps de travail, intensification du
travail, exonérations massives de cotisations sociales) tombe dès lors que la
politique est menée à l’échelle européenne, car les pays
de l’Union sont les principaux concurrents les uns des
autres. Rien n’empêche les citoyens européens de décider
ensemble d’utiliser les gains de productivité que permet
le progrès technique pour vivre mieux et travailler tous, en procédant
périodiquement à de nouvelles réductions du temps de travail. C’est une question de choix de société : la RTT est un outil décisif
pour sortir de la spirale sans fin de la consommation ostentatoire, du
productivisme et des inégalités.
9- Développer
le niveau de qualification des travailleurs
Ce
développement se fera aussi bien par la formation initiale (au-delà de quinze
ans !) que par la formation continue. L’ “économie de la connaissance” doit
déboucher sur une société d’inclusion, où chacun trouve
sa place, et non sur une société de compétition permanente ou les perdants se
trouvent relégués dans des emplois de seconde ou troisième zone. Il faut, en
particulier, définir des droits à la formation continue, sur le temps de
travail et cofinancé par les entreprises, tout au long de la vie, afin de
permettre à tous les travailleurs (et pas uniquement les cadres) d’actualiser leurs qualifications et de pouvoir suivre les changements
techniques et organisationnels.
10- Déclarer un
moratoire sur le processus de privatisation
Arrêter les
privatisations de manière à évaluer son impact en termes économiques et
sociaux, débattre des grandes orientations européennes en la matière et des
moyens d’accorder
concrètement la priorité à la satisfaction de droits sociaux garantis au
niveau européen.
Arrêter la
libéralisation des services publics, qui aboutit en règle générale à la
privatisation des opérateurs publics, les privatisations de manière à évaluer
son impact en termes économiques et sociaux. Cette évaluation doit prendre la
forme d'un débat contradictoire incluant les usagers et les salariés des
services publics. Elle doit déboucher sur l'adoption de grandes orientations
européennes en la matière et des moyens d’accorder concrètement la priorité à la satisfaction de
droits sociaux garantis au niveau européen.
Débattre des
grandes orientations européennes en la matière et des moyens d’accorder concrètement la priorité
à la satisfaction de droits sociaux garantis au niveau européen.
Mais le vide institutionnel
réside principalement dans l'absence de procédure démocratique permettant de
faire émerger explicitement les alternatives et conflits d'intérêts, pour que
soient déterminés par les peuples de l'Union les objectifs et valeurs
prioritaires qu'ils sont prêts à réaliser en commun. Le “débat” ne
suffit pas, d’autant plus qu’il est
limité à un débat d'experts. La globalisation libérale s'impose dans le
secret des réunions inter-gouvernementales et des commissions opaques. Les
résistances doivent, au plan européen comme à l'échelle planétaire, imposer
les débats publics, trouver leurs propres canaux indépendants d'organisation,
de réflexion et d'expression. Notre objectif est d'aider à la consolidation
et l'extension de ces mouvements socio-politiques se battant pour une autre
Europe, comme pour un autre monde, mettant au premier plan des objectifs
sociaux, subordonnant les choix économiques aux choix éthiques et
environnementaux, inventant les institutions adéquates à ces buts.
11- Augmenter
le montant des minima sociaux en se basant sur l’évolution du PIB depuis vingt ans
et sur l’évolution du salaire moyen. Objectiver le seuil
de pauvreté en fonction de l’évolution globale des
richesses ; ne pas conditionner ces minima à une quelconque obligation d’activité (en France, ce minimum est de l’ordre
du Smic à plein temps ; certaines organisations de chômeurs le chiffrent à 8
200 F mensuels, soit 1 250 euros). La proposition de la Fédération européenne
des retraités et personnes âgées (Ferpa), reprise par des associations de
chômeurs en Europe, est de définir un seuil pour les minima sociaux en Europe
qui serait fixé, pour chaque pays, en pourcentage du PIB par tête.
12- Considérer
la satisfaction des besoins fondamentaux comme un droit social élémentaire
pour toutes les personnes résidentes ; refuser la “contractualisation” des rapports entre les chômeurs et les services sociaux, qui rejette
la responsabilité de l’exclusion sociale sur les
chômeurs et conduit à une dissociation entre droits sociaux et droits du
citoyen. Parmi les droits sociaux fondamentaux, le droit à la santé (articles
7 et 35 de la Charte) et le droit à l’éducation et à la
formation (article 14) ne sont pas équivalents pour tous : beaucoup de
chômeurs doivent restreindre leur recours au système médical pour des raisons
financières ; les chômeurs et les allocataires de l’aide
sociale ont des droits restreints à la formation. Quant à l’accès aux soins, les sans-papiers, les demandeurs d’asile, les prostitué(e)s en sont très largement exclus.
13- L’augmentation du nombre de ménages
précarisés vivant de faibles revenus (inférieurs au salaire minimum à plein
temps) fait qu’un nombre important de citoyens /
résidents de l’UE ont peu ou pas d’accès
aux droits sociaux. La Charte affirme pourtant, à l’article
35, qu’ “un niveau
élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la
mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l’Union”
; non seulement les chômeurs ont des difficultés d’accès aux soins, mais il faut y ajouter les détenus (pour qui le
travail forcé est une banalité dans les prisons de l’UE),
les gens du voyage, les demandeurs d’asile, etc.
4.- Enjeux
politico-économiques de l’élargissement
Avertissement : sera seulement ici abordée la question
des prochains élargissements de l’UE vers l’Europe de l’Est. Le sommet de Bruxelles-Laeken
de décembre 2001 a avancé l’horizon 2004 (élections du
Parlement européen) comme échéance. Il s’agit d’un choix politique, plus que de l’application de
“critères”. L’élargissement
concerne dix pays d’Europe centrale et orientale (PECO) – avec ou sans la Bulgarie et la Roumanie – ainsi
que Chypre et Malte. Les analyses et débats concernant la politique
extérieure de l’UE vers les pays du pourtour
méditerranéen ou d’autres régions du monde (le Mercosur,
la Russie) devraient faire l’objet de textes
spécifiques, dans la mesure où elles s’intègrent dans la
réflexion “une autre Europe pour un autre monde”. On ne traite pas non plus ici le bilan nécessaire de la politique
de l’UE dans la crise des Balkans, ni les questions de
la politique étrangère et de sécurité commune (PESC).
“ Se consolider
d’abord, s’élargir ensuite ” ?
Consolider quoi
? Telle est la question qui se pose vraiment. La Communauté (devenue Union) européenne
est passée de 6 à 15 membres – demain 25 ou 27 ? Les enjeux du nouvel élargissement ne sont pas
seulement ni d’abord institutionnels : quel projet de
société recouvre cette construction ? Comment se détermine et qui partage ce
projet ?
Ce sont les
interrogations soulevées par l’Union à 15, et pas seulement en cas d’élargissement.
Nos critiques sont les mêmes envers les politiques dominantes, qu’elles s’appliquent en France ou en Pologne, à l’échelle de l’Union européenne ou planétaire. L’UE elle-même n’étant pas un projet “ achevé ” et transparent, que peut d’ailleurs signifier la notion d’ “ élargissement ” ?
Face à une UE
en construction, ouverte à des luttes et à un avenir incertains, les
jugements sur la meilleure façon de changer nos sociétés peuvent être très
divers. Il existe une tendance, dans le vocabulaire ambiant, à assimiler l’“Europe”,
voire tout projet de construction européenne, à l’UE
telle qu’elle est. Ce glissement impérial est du même
type que celui qui a fait des Etats-Unis¼ l’Amérique. Or ce glissement, vite méprisant, recoupe aussi l’identification de la civilisation et de la démocratie au marché : on
est qualifié d’“européen”(démocrate)
quand on est, en fait, partisan des politiques mises en œuvre dans l’UE libérale. Autrement dit, le rejet de l’UE
telle qu’elle est n’est pas un
signe de “barbarie” - pas plus que
son acceptation inconditionnelle n’est le signe qu’on est bien devenu un “démocrate”.
Les
associations Attac qui tendent à se multiplier au plan européen (dans et hors
de la zone euro et de l’UE) peuvent regrouper des partisans – et des
adversaires – de l’Union européenne
; des partisans d’une autre construction européenne - et
d’autres radicalement hostiles à tout projet
politico-institutionnel supranational, mais non pas hostiles à des
coopérations entre Etats souverains. Toutes ces positions sont évolutives. La
diversité des choix ne doit pas empêcher des critiques communes, des
objectifs de lutte communs, et une contestation des procédures qui ne
permettent pas aux divers peuples de peser sur ce qui détermine leur sort.
Thérapies de choc et
régression sociale
Les critères de
rapprochement que l’UE a imposés en Europe de l’Est sont, en pratique, les mêmes que ceux que le Fonds monétaire
international (FMI) impose aux peuples du Sud à travers ses politiques d’ajustement structurel. Ils relèvent du “
consensus de Washington ” qui tend aussi à s’imposer aux membres de l’UE telle qu’elle est. Les privatisations généralisées, notamment dans les services
publics (sous pression de l’endettement extérieur, ou/et
des critères d’adhésion), la suppression des protections
sociales et de l’accès généralisé aux services publics
ont été particulièrement radicales dans des pays se réclamant du socialisme
où l’essentiel de l’industrie était
nationalisé. Si les populations voulaient y vivre mieux et plus libres, elles
n’ont nulle part voté pour les mesures qui leur ont été
imposées comme un retour “naturel”
aux “lois du marché” - supposées
incarner “la” civilisation. Même là
où l’ancien régime a largement été ébranlé par la force
d’un mouvement social d’en bas – la Pologne de Solidarnosc – on n’a nullement consulté la population pour lui infliger une “thérapie de choc”. Celle-ci a d’ailleurs été rejetée au plan électoral, en Pologne comme ailleurs,
sans qu’une alternative progressiste et crédible soit
capable, pour l’instant, de s’imposer
contre une “mondialisation capitaliste” [10] sauvage.
La chute de niveau
de vie pour la grande masse des populations d’Europe de l’Est a été désignée par l’Unicef comme un choc d’ampleur comparable à la
crise de 1929. Parmi tous les pays issus de l’ex-URSS et
ceux de l’Europe centrale et orientale, seule la Pologne
en 1999 (dix ans après la chute du Mur de Berlin) avait retrouvé et dépassé
son niveau de PIB de 1989 – et elle partait en fait de
très bas et avait été la seule (ce qu’on omet en général
de souligner) à bénéficier d’une annulation de dette
substantielle au début des années 1990. Si les pays d’Europe
centrale (Slovénie, Hongrie, Slovaquie, Tchéquie) dépassent eux aussi aujourd’hui leur niveau de PIB de 1989, la Pologne voit son taux de
croissance chuter depuis trois ans – on parle de
récession en cours – et la reprise de la croissance s’accompagne de privatisations alourdissant la facture d’un chômage supérieur à 30 % en Bulgarie – des
taux que certaines régions sinistrées de Pologne ou de Hongrie connaissent
elles aussi.
Comme sous d’autres cieux où ces politiques se
sont appliquées, les privatisations se sont accompagnées de montages
financiers et de corruption – ainsi que d’une dette extérieure systématique, financée par l’entrée de capitaux étrangers. En Europe centrale et de l’Est, l’ouverture récente des services financiers
stratégiques au capital étranger (70 % du secteur bancaire en Pologne) va
certainement aggraver les contraintes pesant sur les entreprises dans des
pays où leur restructuration sur le mode capitaliste signifie non seulement
chômage, mais aussi remise en cause des avantages sociaux (crèches, hôpitaux,
logements¼) en nature, associés autrefois à l’emploi.
Perspectives et
critères d’adhésion
C’est, pour l'instant, l’horizon incontournable des principales forces politiques, de gauche
comme de droite, qui se succèdent au pouvoir dans les PECO. Seules des
formations nationalistes, et notamment liées aux milieux paysans, expriment
des inquiétudes sur les effets socio-économiques de l’adhésion.
Les professions de foi en faveur d’une telle intégration
sont d’abord des gages donnés aux créanciers et
investisseurs étrangers, une façon de dire que le passé est bel et bien
révolu pour attirer les capitaux. Pour les ex-communistes
social-démocratisés, c’est, en outre, la condition d’une reconnaissance internationale comme interlocuteurs “crédibles”. Avec le risque croissant que les
discours sociaux et critiques envers la “modernité” occidentale proviennent exclusivement de courants de droite.
La candidature
à l’UE permet aussi, dans
les pays concernés, de légitimer les politiques d’austérité
qui accompagnent les “transformations systémiques”. Les nouveaux élus en Pologne ont exigé que les négociations d’adhésion ne soient pas ajournées ou retardées par les débats non
résolus sur le fonctionnement de l’UE : il faut rendre
la transition irréversible, disent-ils. Et l’accélération
des transformations doit être légitimée par un “impératif” : celui d’une adhésion à horizon suffisamment
rapproché pour justifier les mesures d’ajustement sur
les institutions et mécanismes de l’UE.
Pour les
populations concernées, la perspective de l’adhésion est aussi peu claire et susceptible d’évolution que pour les populations membres. Si elle est attractive
pour les jeunes en général, elle est source d’inquiétude
croissante lorsqu’on légitime systématiquement la perte
d’avantages sociaux à des critères imposés par
Bruxelles. Des défiances s’expriment dans les sondages – la Pologne semble désormais partagée à 50 % pour et contre, la
Hongrie reste très favorable, la Tchéquie plus traditionnellement réticente.
Pourtant, l’adhésion reste sans doute largement associée
(à tort ou à raison) à l'espoir de vivre mieux : ne s'agit-il pas de l’Europe des riches ?
Mais la crainte
d'être encore plus marginalisés et perdants en restant hors de l'UE, et
l'absence d'alternative crédible de gauche à l'Europe de Maastricht pèsent
dans les consciences. Si le coût (les critères) de l’adhésion s’avèrent
trop lourds, il y aura certainement des retournements d’opinion.
Mais, alors que ces pays subissent le pire des politiques néolibérales, ils
peuvent espérer qu’en adhérant ils pourraient au moins
avoir leur mot à dire et bénéficier des fonds structurels de l’Union auxquels ils sont éligibles.
Les critères d’adhésion dits de Copenhague
(sommet de 1993) sont d’ores et déjà caducs : les
candidats doivent “être en mesure de faire face à la concurrence dans l’UE”. Or, contrairement à ce que fut la
politique économique (protectionniste et interventionniste) appliquée au
lendemain de la deuxième guerre mondiale dans le contexte du plan Marshall,
on impose une politique de restriction des financements publics et bancaires
de l’économie et une transformation des systèmes
financiers laissant ces économies (et leur budget) tributaire des capitaux
étrangers. L’interventionnisme économique est taxé de “populiste” s’il veut
préserver des emplois, des acquis sociaux (subventions, secteur public¼). Au total, on a nécessairement montée du chômage et creusement des
déficits extérieurs vis-à-vis de l’UE¼ donc l’expression même de l’incapacité à faire face à la concurrence sans protection. Le montant
cumulé total du solde commercial de l’UE avec les PECO
sur la période 1990-1999 atteint 105,3 milliards d’euros,
soit dix fois plus que le total de
10,89 milliards d’euros engagé par la Commission
européenne en faveur des PECO dans le cadre du programme Phare.
Un bilan désastreux
pour tous les candidats
Trois pays
(Pologne, Hongrie et République tchèque) ont reçu à eux seuls près de 60 % de
“ l’assistance occidentale ” (notion qui intègre un
tiers de dons - contre 88 % dans le cas du plan Marshall), le reste de cette “aide” consistant en crédits conditionnés¼ Autrement dit, les pays les plus riches sont ceux qui reçoivent le
plus cette “aide”. De surcroît, les
conditionalités ont signifié une politique de privatisation forcée, sans
capital “ organique ” accumulé – donc tributaire de montages financiers et d’achats
par le capital étranger.
Les
privatisations forcées ont touché de façon dogmatique tous les secteurs et
entreprises, qu’ils
fonctionnent bien ou mal, alors que le critère du fonctionnement obéissait à
des règles de gestion totalement différentes : les grandes entreprises
incorporaient des infrastructures sociales (logements, crèches, hôpitaux,
etc.).
Les
coopératives de Hongrie qui étaient efficaces – et dégageaient des capacités d’exportation
– ont été remises en cause et subordonnées aux intérêts
des grandes firmes agro-alimentaires occidentales (recevant d’ailleurs l’essentiel des subventions¼ de la PAC). La Slovénie, qui a le PIB par tête le plus élevé de tous
les pays candidats (70 % de la moyenne de l’UE contre
20-30 % pour la Roumanie ou la Bulgarie) est le pays qui a le moins privatisé
(donc le moins détruit son héritage efficace, lié au passé autogestionnaire),
mais la Commission européenne le lui reproche !
En pratique,
les critères économiques produisant des effets désastreux, la Commission
retient des critères “institutionnels” et, finalement, politiques – sans le dire. Elle avait sélectionné, après Copenhague, 5 candidats – Slovénie, Hongrie, Pologne, Estonie et Tchéquie - avec lesquels les
négociations ont commencé en 1998. Mais cela posait problème notamment pour
les relations Tchéquie/Slovaquie (accords douaniers) et, en général, pour les
5 autres pays non retenus, qui se sentaient discriminés (Lettonie, Lituanie,
Slovaquie, Roumanie et Bulgarie).
La guerre de l’OTAN au Kosovo (mars-juin 1999)
aggravant la situation dans les pays concernés par les sanctions, a provoqué un
tournant radical de la procédure d’élargissement au
sommet d’Helsinki (décembre 1999) : au lieu de retenir
une première vague des cinq premiers pays évoqués plus haut, il a été décidé
d’ouvrir la procédure d’adhésion
aux dix PECO. Tout en pratiquant l’examen au cas par
cas. La Déclaration de Laeken est restée dans le brouillard, mais avance une
énumération de huit PECO (sans la Bulgarie et la Roumanie) susceptible de
remplir les conditions d’ici 2004. En fait, il y a peu
de différences de niveau de vie et de structures entre la Bulgarie et la
Roumanie, d’une part, et, de l’autre,
la Lituanie ou la Slovaquie, et moins d’écart qu’entre ces deux derniers et les pays avancés, voire moyens, de l’UE.
Politique agricole et
fonds structurels
La perspective
de bénéficier des fonds structurels et des aides au revenu agricole et à la
restructuration de l’agriculture
est évidemment un élément attractif de l’adhésion de
pays globalement plus pauvres et plus agricoles que la moyenne de l’UE. La production agricole des PECO représentait en 1990 20 à 50 % de
celle de l'Europe des Douze, selon les secteurs – avec
une part dans l’emploi allant jusqu’à 30 % (Roumanie). Mais c’est aussi dans les
campagnes qu’on trouve le plus d'inquiétude envers une
adhésion à l’UE qui implique aussi une brutale
confrontation avec des agricultures très subventionnées et modernisées. En
réalité, la plus grande incertitude règne sur ce que seront les “acquis communautaires” lors de l’adhésion.
Celle-ci
pourrait accélérer la remise en cause préalable de la PAC dans la
continuation des négociations du Cycle de l’Uruguay reprises par l’OMC. Les prix
de l’UE s’aligneraient sur les prix
mondiaux (dont sont proches les prix est-européens) et les subventions
directes sont censées remplacer les pertes de revenus que provoqueraient ces
ajustements. Mais les revenus des agriculteurs des PECO seraient-ils alors
alignés sur ceux de l’Ouest ? Autrement dit,
recevraient-ils en Pologne les mêmes soutiens à leur revenu qu’en France ? Et l’adhésion sera-t-elle associée à
une application identique aux PECO des critères d’allocation
des fonds structurels en vigueur ? Les protestations venues de l’Europe de l’Est à l’égard
des premiers projets prévoyant de ne pas appliquer aux nouveaux membres les
mêmes critères qu’aux quinze actuels, ont infléchi les
propositions.
La Commission
européenne a adopté, le 30 janvier 2002, un cadre budgétaire pour l’élargissement pour la période
2004-2006. Il s’efforce de respecter le projet plafonné
à 1,27 % du PIB de l’Union fixé par les Quinze au Sommet
de Berlin en mars 1999.
Mais, en fait,
ce budget prévoyait initialement :
- un scénario d’élargissement à six nouveaux
Etats membres en 2002 – alors que le nouveau scénario
envisagé au Conseil européen de Laeken recule l’échéance
à 2004, mais pourrait concerner dix nouveaux Etats membres (excluant Roumanie
et Bulgarie) ;
- des
hypothèses de non-application aux nouveaux pays membres des subventions
directes, ce qui a provoqué une levée de boucliers en Europe de l’Est.
Dans ses
nouvelles propositions (février 2002), la Commission indique que la “politique des marchés” de la PAC doit intégralement s’appliquer, mais,
côté subventions, elle préconise un régime transitoire tendant vers un statut
unique :
- au cours d’une phase de transition initiale
(2004-2006), les nouveaux membres ne recevraient, pour 2004, que 25 % des
montants prévus par le régime actuel, 30 % pour 2005 et 35 % pour 2006 ;
- entre 2006 et
2013, on ne garantit plus de montant absolu car le régime des aides est
susceptible d’évoluer.
Mais le régime des paiements directs serait établi de façon à ce que les
nouveaux membres se rapprochent chaque année davantage de l’objectif des 100 % du régime appliqué aux autres en 2013.
En ce qui
concerne les actions structurelles, l’aide en faveur des dix nouveaux Etats membres
correspondrait à 137 euros par habitant en 2006 – soit
2,5 % de leur PIB total (contre une moyenne de 231 euros par habitant pour
les quatre actuels membres de l’UE bénéficiant de ces
aides, et 1,6 % de leur PIB total).
Les nouveaux
Etats membres sont beaucoup plus pauvres que les membres actuels (en dehors
de la Slovénie dont le PIB par habitant est proche de la moyenne de l’UE à 15, et de l’ordre de celui de l’Espagne, tous les autres
sont en dessous de 50 % de cette moyenne). Donc les aides exprimées en % du
PIB recouvrent des montants faibles (permettant de rester dans les bornes d’un budget de l’Union inférieur à 1,27 % du PIB
de l’Union). On évoque souvent un “
seuil ” d’aide à ne pas dépasser, qui
serait de 4 % du PIB du pays récepteur. Mais ce seuil n’a
rien d’un “ acquis communautaire ” ni d’une évaluation scientifique, et l’on omet de souligner que les Länder de l’Allemagne
de l’Est ont reçu, depuis 1989, des transferts de l’ordre de 100 milliards d’euros par an, soit, sur
dix ans et selon les années, entre 60 et 100 % de leur PIB. Un tel transfert
n’a pas pour autant permis une réelle résorption des
inégalités entre les deux parties de l'Allemagne.
La question est
donc double. Elle est non seulement d’avoir un budget à la hauteur des enjeux, mais aussi une
politique économique qui assure effectivement l’élévation
du niveau de vie et la réduction des écarts de développement sur le continent
européen.
Les coûts : une
question politique
L’évaluation du coût de l’intégration des PECO n’est pas d’abord quantitative. Pour les pays de l’UE, elle
est évidemment aussi politique. Mais de quelle politique s’agit-il ? Des promesses ont été faites lors de la chute du Mur de
Berlin : si vous réalisez les transformations exigées, vous rejoindrez le “club des nantis”. La crainte existe que la
remise en cause de ces promesses (et des aides) ne favorise le développement
de courants ultra-nationalistes et finalement hostiles à l’UE... à ses frontières. C’est pourquoi la
tendance dominante est d’avancer politiquement vers l’élargissement (avec l’adhésion de 10 ou 12 des
candidats d’ici les prochaines élections du Parlement
européen en 2004), tout en poursuivant une politique d’austérité
budgétaire libérale, socialement désagrégatrice, tant dans l’UE que chez les pays candidats.
L’étroitesse du budget
communautaire se combine au carcan des traités. Pour donner à l’Est, on prendra au Sud (l’Espagne et le Portugal
protestent déjà et exigent le maintien des sommes qui leur sont allouées), ou
bien on créera des citoyens de second rang (des paysans aux droits
différents). L’application aux PECO des critères en
vigueur doublerait, selon diverses évaluations, le budget de l’Union, mais on resterait en deçà de ce que fut l’effort du plan Marshall et on aurait encore un budget dix fois plus
faible que celui d’un pays de taille analogue, les
Etats-Unis.
Certains jouent
aussi sur la crainte d’un déferlement des travailleurs d’Europe de l’Est, aggravant le chômage, mais des inquiétudes analogues avaient été
exprimées lors de l’adhésion de l’Espagne
et du Portugal¼ Des mesures préconisées par l’Allemagne et l’Autriche, reprises par la
Commission européenne, introduisent une période de 5 à 7 ans de suspension de
la liberté d’embauche à l’intérieur
de l’UE15 pour les travailleurs des nouveaux pays
membres. Mais les politiques de délocalisation existent déjà. Et le risque
des mesures préconisées est de multiplier le nombre de travailleurs
clandestins.
Conclusion :
1- il faut à
tout prix arrêter d’appauvrir
la grande masse des populations de ces pays. Le mot d’ordre
de moratoire des privatisations et de bilan à effectuer est, en fait, commun
à l’ensemble des pays européens qu’ils
soient ou non membres de l’UE ;
2- dans et hors
de l’UE, la question
des services publics et de leur financement doit être au coeur d’un autre projet de société.
C’est d’abord
la logique libérale qui rend l’élargissement socialement
menaçant : primauté de la compétition marchande à l’intérieur
de l’Union elle-même, dumping fiscal, absence de
critères de convergence sociaux, agriculture productiviste.
Propositions
1- Associer
pleinement les pays candidats à la réflexion critique sur la nature de la
construction européenne et à la réflexion sur “une autre Europe pour une autre mondialisation” en respectant l’histoire, les valeurs, les
priorités de chaque peuple.
2- Défendre
prioritairement, dans les pays d’Europe de l’Est, le droit à l’éducation et, plus généralement, aux services publics pour tous,
contre les politiques d’austérité budgétaire et contre
la privatisation de ces services.
3- Exiger la
transparence sur les effets des politiques et pratiques sociales des
multinationales européennes s’implantant en Europe de l’Est (comme dans les
pays du Sud), notamment dans le domaine des services (télécoms, électricité,
distribution) et de l’agro-alimentaire;
4- Avec la
Confédération paysanne et Via Campesina, associer les paysans d’Europe de l’Est
à la défense d’une agriculture paysanne, assurant, pour
chaque peuple, la maîtrise de ses besoins nutritionnels de base, et
protégeant l’environnement et la santé.
Attac
appliquera elle-même cette démarche en allant vers un Forum social européen,
prévu à Florence cet automne, qui n’aura pas de frontières à l’Est et
remettra en cause les rapports de néo-colonisation partout où ils se
manifestent.
Notes
_ftnref1[1] Six
Etats sont alors parties prenantes : République fédérale d’Allemagne, Belgique, France,
Italie, Pays-Bas, Luxembourg.
_ftnref2[2] Dont la
Haute Autorité, ancêtre de l’actuelle Commission, gère les ressources mises en commun et n’est soumise au contrôle du Conseil des ministres que pour les
questions de portée générale
[3] Voir à ce
propos, Joseph Stieglietz, Prix Nobel d’économie, ancien vice-président et économiste en chef de
la Banque mondiale, “La grande désilusion”, Editions Fayard 2002
[4] Le NAIRU (Non Accelerating Inflation Rate of
Unemployment) désigne le “ taux de chômage qui n’accélère pas la hausse
des prix ” ; on parle aussi de “
taux de chômage d’équilibre ”.
_ftnref5[5] La Charte
des droits fondamentaux adoptée le 7 décembre 2000 au Conseil européen de
Nice proclame, dans son article 34 §3, que, “ afin de lutter contre l’exclusion sociale et la pauvreté, l’Union
reconnaît et respecte le droit à une aide sociale et à une aide au logement
destinées à assurer une existence digne à tous ceux qui ne disposent de
ressources suffisantes, selon les modalités établies par le droit
communautaires et les législations et pratiques nationales ” . Ce texte indique bien que la question du salaire ou du revenu
minimum n’est pas à discuter au niveau de l’Union, qui rejette toute revendication “
européenne ”. Il faut ajouter qu’en
Europe, environ 55 millions d’individus vivent en
dessous des seuils (nationaux) de pauvreté.
[6] Pierre Jacquet
et Jean Pisani-Ferry, “ La coordination des politiques économiques dans la zone euro : bilan
et propositions ” dans Questions européennes, rapport au Conseil d’analyse
économique (CAE), La Documentation française, Paris, 2000.
[7] Jean
Pisani-Ferry, Plein emploi, rapport
au CAE, La Documentation française, Paris, 2000.
[8] Depuis les
années 1970, les zones de reconversion et zones franches ont été établies
pour créer des emplois : les entreprises qui s’y installent bénéficient de “ primes
spéciales ” et ont le droit d’interdire
l’existence du syndicat et la grève.
[9] Interdiction de
rassemblement dans certains espaces, interdiction d’occupation, etc.
[10] Voir à ce
propos, Joseph Stieglietz, Prix Nobel d’économie, ancien vice-président et économiste en chef de
la Banque mondiale, “La grande désilusion”, Editions Fayard 2002
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